Accueil > Chansons > Patriotard !

Patriotard !

Gréjois, Henri

jeudi 16 février 2023, par claude

Texte d’Henri Gréjois (≤1898).
C’est un dégénéré simplement veule et flasque
Qui mesure un guerrier à l’ampleur de son casque.
Son âme est de ruolz, son cœur de maillechort.
Il prend pour uriner des poses de ténor.
Son crâne est un musée où des images dorment
D’ustensiles guerriers, d’éperons, d’uniformes.
Son courage est en zinc, et son verbe brutal
A des sonorités d’un goût… municipal.
À sa littérature il n’est pas de remède :
Il suite des vers de Monsieur Déroulède,
Où de jeunes enfants, coiffés de blonds cheveux,
Sont nommés caporaux, en distiques piteux.
Pendant qu’un vieux sergent, sous des grêles de balles,
Couche sur des drapeaux, mange dans des cymbales,
Ou, la main sur l’affût de deux ou trois canons,
S’asseoit sur des tambours en sonnant du clairon,
Le bouillant, le bruyant, le braillant patriote
Est un être malsain : s’y pique qui s’y frotte.
Sa marotte lui vint, un jour de révision,
Quand le major lui dit : « Remets ton pantalon.
Ta triste architecture est un bloc pitoyable,
Tu ne feras jamais un troupier convenable. »
Lors, en son cœur, le chant russe, autant qu’usuel,
Quoique quasi anticonstitutionnel,
A dit son bon vouloir, son ivresse de vivre.
Aux sons républicains d’une musique en cuivre,
Ô jour trois fois heureux ! Béni soit le major
Qui préserva tes pieds des oignons et des cors.
À toi bocks et vermoulus, kummel, absinthe pure,
Et les rêves d’alcool que ton esprit suppure.
Évoquant le décor des quatorze-juillets,
À toi. pétards, fusées et coup de pistolets,
Chaussette franco-russe au parfum de pandore,
Ceinture à la moujik, caleçon tricolore,
Embrasse, coq gaulois, l’aigle dominateur !
Vive la liberté, béni soit l’empereur !
Et, fétide, il s’en va de garrotte en garrotte,
Ressasser des propos de femelle en ribotte.
Danser la moscovite, en songeant à Moscou,
De sinistre façon s’asseoir un peu partout.
Dans un ruisseau rêver de blondes cantinières
Posant sur ses genoux leur croupe hospitalière.
Et puis, un beau matin, la question d’Orient,
Du Niger ou d’ailleurs, aura l’inconvénient
De faire résonner la trompette de guerre.
Les simples s’en iront défendre la frontière.
Mais lui, le bon gueulard, soudainement promu
Au rang de spectateur, et, gravement ému
En songeant aux malheurs qui menacent la France,
Ira dans un désert enterrer sa souffrance.

Paul Déroulède (1846-1914), fondateur de la Ligue des patriotes. L’un des principaux acteurs de la droite nationaliste.


Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 162 (1er-7 janvier 1899).