1 — Le Dernier Drapeau
J’étais dans la nue, en un lieuOù tout se tait, où rien ne bouge.Le ciel était noir, quoique bleu ;Je vis passer une ombre rouge.C’était quelque chose d’ailé,Qui ne s’envolait que d’une aile ;Et je dis au gouffre étoilé :Où donc cette forme va-t-elle ? »La nuit qui garde au fond des deuxLa clé de l’éternel problèmeMe répondit : « Ô curieux !« Interroge l’ombre toi-même ! »Et je l’interrogeai, je dis :« Quelle est cette forme qui passe !« Ô spectre, où t’en vas-tu, tandis« Qu’une étoile éclot dans l’espace ! »L’objet (ce n’était qu’un objet)Me dit : « Je fus, je cesse d’être.« Toi-même tu fus mon sujet ;« Tu devrais au moins me connaître ! »Bien que j’eusse froid sous la peau,L’œil droit comme sur une cible,Je vis que c’était un drapeau,Cette aile qui fuyait, terrible,Et le sacré haillon banni,Expulsé des luttes humaines,Me cria : « Rêveur, c’est fini« D’avoir des drapeaux et des chaînes !« Regarde ce qu’a fait le ventDe mes pauvres franges altières.« Humanité ! Soleil levant !« Plus de soldats ! Plus de frontières !« Qu’avez-vous besoin désormais,« Puisqu’Adam rallume sa lampe,« De coudre sur les hauts sommets« De l’étoffe autour d’une hampe !« Le vieux privilège était fort ;« Mais la Justice était plus forte.« Ô citoyen, le mal est mort,« Les dieux sont morts, la mort est morte ! »Et je vis là-haut, en ce lieuOù tout se tait, où rien ne bougeDans le ciel à présent tout bleuDisparaître le drapeau rouge.
29 octobre 1888