Accueil > Chansons > Dernier drapeau

Le

Dernier drapeau

Hugues, Clovis

dimanche 19 février 2023, par claude

Texte de Clovis Hugues (≤1888).

1 — Le Dernier Drapeau

J’étais dans la nue, en un lieu
Où tout se tait, où rien ne bouge.
Le ciel était noir, quoique bleu ;
Je vis passer une ombre rouge.
 
C’était quelque chose d’ailé,
Qui ne s’envolait que d’une aile ;
Et je dis au gouffre étoilé :
Où donc cette forme va-t-elle ? »
 
La nuit qui garde au fond des deux
La clé de l’éternel problème
Me répondit : « Ô curieux !
« Interroge l’ombre toi-même ! »
 
Et je l’interrogeai, je dis :
« Quelle est cette forme qui passe !
« Ô spectre, où t’en vas-tu, tandis
« Qu’une étoile éclot dans l’espace ! »
 
L’objet (ce n’était qu’un objet)
Me dit : « Je fus, je cesse d’être.
« Toi-même tu fus mon sujet ;
« Tu devrais au moins me connaître ! »
 
Bien que j’eusse froid sous la peau,
L’œil droit comme sur une cible,
Je vis que c’était un drapeau,
Cette aile qui fuyait, terrible,
 
Et le sacré haillon banni,
Expulsé des luttes humaines,
Me cria : « Rêveur, c’est fini
« D’avoir des drapeaux et des chaînes !
 
« Regarde ce qu’a fait le vent
De mes pauvres franges altières.
« Humanité ! Soleil levant !
« Plus de soldats ! Plus de frontières !
 
« Qu’avez-vous besoin désormais,
« Puisqu’Adam rallume sa lampe,
« De coudre sur les hauts sommets
« De l’étoffe autour d’une hampe !
 
« Le vieux privilège était fort ;
« Mais la Justice était plus forte.
« Ô citoyen, le mal est mort,
« Les dieux sont morts, la mort est morte ! »
 
Et je vis là-haut, en ce lieu
Où tout se tait, où rien ne bouge
Dans le ciel à présent tout bleu
Disparaître le drapeau rouge.

29 octobre 1888


Paru aussi — indiqué inédit — dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 20 (3-10 novembre 1888).