1C’est la. nuit ! sur le quai tout noirUne enfant de seize ans à peineEn proie à l’âpre désespoirVa pleurant le long de la Seine :« Pas de travail et pas de pain !Je suis lasse ! j’ai froid ! j’ai faim ! »Dit-elle, « Oh ! que la vie est dure ! »Et l’enfant écoule soudainLa voix du fleuve qui murmure :« Les flots se feront caressantsPour enlacer les seins naissants,Pour effleurer ta bouche rose.Viens enfant ! viens chercher l’oubli !Les herbes te feront un lit.Repose ! »2Et la voie continue ainsi« Pauvre fille ! tu désespèresAlors que chantent sans souciLes enfants joyeux et les mères.Une mère ! tu n’en eus pasPour diriger tes premiers pasPour te bercer sur sa poitrine !Viens donc ! la Mort le tend les bras !Elle sera pour toi câline. »« Les flots se feront caressantsPour enlacer les seins naissants,Pour effleurer ta bouche rose.Viens enfant ! viens chercher l’oubli !Les herbes te feront un lit.Repose ! »3« Tu ne connus ni l’amitié,Ni l’amour, si doux au cœur frêle ;Qui sait mème si la pitiéTe toucha jamais de son aile !Qu’à m’obéir ton cœur soit prompt.Viens ! les vagues te bercerontDe leur mouvement lent et vaste,Les poissons d’argent, sur ton frontMettront leur baiser le plus chaste. »« Les flots se feront caressantsPour enlacer les seins naissants,Pour effleurer ta bouche rose.Viens enfant ! viens chercher l’oubli !Les herbes te feront un lit.Repose ! »4« Quel est ton avenir, enfin,En ce monde fait d’injustice !Où, pour échapper à la faim,Tu n’aurais qu’un moyen, le vice.Passif instrument de plaisir,Veux-tu voir ton cœur se flétrir !Veux-tu faire un métier immonde !Veux-tu désapprendre à rougir ?Non ! laisse-toi glisser dans l’onde ! »« Les flots se feront caressantsPour enlacer les seins naissants,Pour effleurer ta bouche rose.Viens enfant ! viens chercher l’oubli !Les herbes te feront un lit.Repose ! »5Alors, étouffant un sanglotL’enfant fait quelques pas et glisseLe long de la berge, et le flotBientôt met fin à son supplice,Voilà votre œuvre ! ô dirigeants !Vos lois font que les pauvres gensOnt un avenir de misère,Et que des enfants de seize ansS’en vont rouler à la rivière.Flots ! faites-vous bien caressantsPour enlacer leurs seins naissants,Pour effleurer leur bouche rose.Donnes-leur l’éternel oubli !Que leur tête sur un doux lit.Repose.
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Pauvre fille !
Herbel, Émile
dimanche 19 février 2023, par
Texte d’Émile Herbel (≤1889).
Paru aussi in : L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 28 (5-12 janvier 1889).