Rêve de Boulange

1

Monsieur Boulanger, ce grand homme !

Après dîner, gris à demi

Et par trop gavé s’endormit

Mais il rêva durant son somme.

Soudain, il entend de grand cris,

À sa porte, voilà qu’on sonne…

C’est le bon peuple de Paris

Qui vient lui donner la couronna,

 

« Je suis Roi ! Je suis roi ! »

Dit Boulange que rien n’étonne

« Je suis roi ! je suis roi !

Que tout se courbe devant moi ! »

 

2

Aussitôt il prit pour ministres

Rochefort, Laguerre, Naquet

Laur et Vergoin, tout un paquet

De rastaquouères et de cuistres.

Puis il dit : « Les Républicains

M’ont insulté, qu’on les fusille !

Et quant au reste des pékins,

S’il bronche, mettez-le sous grille ! »

 

Je suis roi ! Je suis roi !

Je veux rebâtir la Bastille.

Je suis roi ! je suis roi !

Je veux taire trembler d’effroi.

 

3

« Afin que Dieu nous soit propice

Rendons l’école aux Bonnes sœurs

Ainsi qu’aux Bons frères fesseurs.

Qu’ils instruisent à leurs caprices !

Non ! plus de laïques brutaux !

Qu’à les exiler on s’empresse,

Je veux aux moines de Citeaux

Confier toute la jeunesse. »

 

Je suis roi ! je suis roi !

Que tout le monde aille à la messe.

Je suis roi ! je suis roi !

La loi de l’Église est ma loi !

 

4

« Maintenant ! aux choses profanes !

Je suis bon prince, amusons-nous !

À notre tour faisons les fous !

À moi les folles courtisanes.

Mon plaisir, c’est le seul objet

Qui doit importer à la France.

À quoi servirait le budget !

Si ce n’est à faire bombance ! »

 

Je suis roi ! je suis roi !

Ne ménageons pas la dépense,

Je suis roi ! je suis roi !

Mon bon plaisir voilà ma loi.

 

5

« Je suis très-beau. pour qu’on le sache

À mon Peuple faisons nous voir.

Qu’on m’amène mon cheval noir

Qu’on m’apporte mon grand panache. »

Il sort, Hélas ! aux premier pas

De son erreur il voit les suites

Ou le bombarde à tour de bras

D’œufs pourris et de pommes cuites.

 

Plus de roi ! plus de roi !

C’est la plus pileuse des fuites.

Plus de roi ! plus de roi !

Il s’éveille, rempli d’effroi.