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Le

Chapelet de la présidence

Galilée, Charles

mercredi 22 février 2023, par claude

Texte de Charles Galilée (≤1899).

Lundi, 23 octobre 1899. Le pape Léon XIII vient de faire don à la présidence de la République d’un superbe chapelet, dont les grains sont des agates, et la monture en or.
(Les journaux)

Les présidents font de leur vie
Si peu de cas !… que notre envie
De les fusiller en chansons
Passe ; quand nous réfléchissons
Aux désastreuses conséquences
Qu’en peuvent subir nos finances :
— Un fait un poème ; on le dit :
Et crac. !! un bel après-midi,
Le héros qui nous faisait vivre
(Ceci soit dit sans ironie),
Tourne son œil vers le givre,
À bout de lucre et d’agonie.
-- Donc, je ne voulais plus rimer
Pour ces hommes mésestimés
À la veille d’être inhumés.
Hélas ! le pape a su charmer
Ma muse avec un chapelet. —
Eh ! ce n’est déjà pas si laid :
Un chapelet aux grains d’agates.
Et monté sur or, s’il vous plaît !…
À la messe on fait ses épates
Avec un bijou si complet !
Et je pense qu’en sa prière
Celui-ci qui l’égrènera,
Avec orgueil réfléchira
Que c’est un chapelet de pierre…
Le chœur de la chapelle, aussi,
Sera de pierre… (Mais ceci.
En somme, n’est pas notre affaire.)
Il pourra penser, le fervent.
Par le fil d’or, au fil d’argent,
Et condescendre à l’indigent,
Dont le chapelet est de faire
Bouillir la marmite papale :
En y versant la principale
De toutes denrées… à savoir
Qu’il est certain que son devoir
Est de lui fournir de la viande.
C’est de la viande qu’il demande,
Le pape, pour sa maisonnée.
C’est de la viande irraisonnée !
En somme, c’est un bon prélat :
Il n’en mange pas… Loin de là :
Il la pressure simplement.
Elle devient un condiment.
Elle assaisonne les bouillons
De la marmite où nous grouillons.
C’est, le poivre qui nous excite
À respirer les fleurs du rite ;
À caresser, sous les chasubles,
Des charmes trop indissolubles.
C’est la mignonnette des plats
Dévorés par les chancelas
De nos cuisines mi-bourgeoises.
C’est l’excitation, sournoise.
Des cerveaux mineurs et l’impur
Rapt anglican (Ne varietur !)
C’est de la viande qu’on abat
Quand un aigle assassin s’ébat
Au milieu de la bergerie.
C’est de la viande qu’on marie
Pour en procréer la teneur
Qui permet au prostituer
De vivre grassement à l’ombre
De l’apostolique pénombre :
C’est, de la viande à tant la bête.
L’enchère monte par la tête ;
Plus elle est forte, plus on l’achète
Cher… Plus elle est vile, plus elle
Monte dans la divine échelle.
Ainsi l’on arrive aux degrés
Suprêmes en notre progrès.
Et l’on reçoit, ou bien l’on donne
À quelque sosie autochtone.
Un diminutif très perlé
Du véritable chapelet
Oui, pour nos âmes dérobées,
Est bien celui des macchabées !

23 octobre 1899.


Paru aussi in : Le Libertaire, 3e série (1899-1901), in nº 3 (19-25 novembre 1899).