1Dans son injustice et dans sa vanité,L’Homme, ivre des théologiesQui flattent sa divine effigie,Contre la Nature s’est révolté…Accablée sous la terreur puérileDes phénomènes saugrenusDu temps et de l’espace mal connus,Sa naissante raison, comme une lieDe toutes parts par l’océan battue,S’exhale, toute tempête bue,En prières à la Force mystérieuse…Son adolescence industrieuseNe lui révéla point la vérité.— L’Homme, en son ignorance capitale,S’absorbait en des extases fatalesEt, révoquant l’obscure animalité,La substance en énergie et la nature,Icare de mythes circonstancies,Il préférait souscrire à l’impostureQui le faisait choir du haut d’un ciel !Sa maturité pénible de conscienceS’abîma dans le recueillement…Si l’analyse du pourquoi et du commentLui eût suggéré quelques efficiencesDes causes obstruées qu’il interrogeait ?…Mais le vice de vanité l’affligeait.Comme un ouvrier sublime et méritoireSe campant ferme et dénudant ses bras,Il avait vidé la hotte de l’Histoire,Trié sa ferblanterie et ses papiers gras ;Frémissant d’une audacieuse pensée,Il avait escaladé les airsEt, cent fois les explorant, découvertQue les cieux de dieux étaient déserts :Les théogonies étaient effacées !Comme les héros des cycles fabuleux,Et surpassant négligemment leur taille,Il avait réduit en d’émouvantes batailles Les éléments tumultueux…L’Univers entier devenait la choseDomestique qui permet qu’on se repose,Et les poètes émerveillésChantaient à l’envie l’apothéose…Quoi ! la foule des ancêtres humiliésDevant tant de sottise et tant d’ingratitudeRelève l’outrage et verse l’inquiétudeDans l’âme impudente de ces humainsQui, parvenus au seuil des béatitudes,Répudient ceux qui frayèrent le chemin :2« Tel Œdipe, ignorant son père,Sur la route un jour le tuait,Tel l’Homme, ignorant de la terreEt du paganisée mystère,Tue et renie, infatué,Ses parents de race lointaine,Géants au labeur obstiné,Malgré leur petitesse certaine.Or, dont l’esprit est irrité !« Car nous sommes de la NatureL’effluve des premiers conflits,Et toute sa progéniture, Sa progéniture future.Fut féconde en notre lit !Nous avons du ciel et de l’ondeAffermi les lâches ressorts,Puis nous avons créé le mondeDe nos ridicules efforts !« De la matière une et sans forme,De cette énergie au desseinSans volonté, malgré qu’énorme,Nous avons pénétré la normeJusqu’en la chaleur de leur sein,D’elles ayant extrait la vieQue nous avons incluse en nous…Hélas ! grâce à notre génie.Nous pûmes vous mettre debout !« Nous avons, bravant les orages,Pu gravir orgueilleusementLa longue spirale des âges…La vie est-elle l’apanageDes opiniâtres ferments ?Nous fûmes les primes cellulesQue la chimie en rut forma,L’albumine aux fécondes bulles,De l’amoral protoplasma !« Et depuis, malgré les sophistes,Ô végétaux, vous, animaux,Homme enfin des noirs égoïsmes,Fronts magistraux de l’esthétisme.Qu’êtes-vous, sinon des grumeauxDe notre chair, de notre écume,Rien qu’un chaos de visionsSur lesquelles votre amertumeNe se fait point illusion ?« Sur terre, il n’est que notre race,Hommes, lanterniers d’Aladin !Qu’importe la mauvaise grâceQui vous fait ternir notre trace,Oui, qu’importe votre dédain !Fleurs de la vie originelle,Nous commençâmes les premiers ;Pleurs de la froidure mortelle,Nous nous en irons les derniers !« Ô la sinistre et vieille école,Du leucocyte à l’éléphant !…Ugolin mûré dans les geôlesEt que la faim aiguë affoleDévorera bien ses enfants !…Les faibles sont la nourritureDes plus fourbes et des plus forts :Ceux-ci deviennent la pâtureDes hommes plus goutons encor !« On salue au moins les victimesQu’on sacrifie à ses repas !Quand l’assassin commet le crimeSa proie a des cris légitimesQue l’autre ne méprise pas !…Homme, la nature évolue,Et de ce que tu crois innéTout est notre œuvre méconnue,Rien jamais ne fut spontané !« Ton existence est notre chose,Car ton corps n’est que le terrainDe nos propres métamorphoses.Nous disposons si tu proposes,Car nous avons le pied marin,Et sur la mer calme ou hardieTon pauvre exquis épouvantéNe vaut santé ou maladieQue selon notre volonté !« Réfrène ta morgue insultante,Pauvre homuncule impersonnel !Mais tu n’es que la résultanteDe la lutte épique et constanteDont c’est toi le lieu solennel ?Ah ! tu révoques tes ancêtres,Tous ces infiniment petits ?Eh bien, ces petits sont tes maîtres,Tes désirs sont leurs appétits !« Ô divin génie ! — incapableDe formuler un avenirDe paix fixe et de bonheur stable,Que ton orgueil est lamentable,Que ton destin est obéir !Obéir non jamais à l’homme,Ton frère et ton équivalent,Mais obéir au sombre atomeQui t’impulse de son élan !« Que serais-tu sans les microbes,Sans les mollusques, sans les vers,Sans ces animalcules probesQui tissent et cousent la robeDont tu pares ton univers ?Nous rendons l’atmosphère saineSous plus d’un ciel — sans oremus !Et c’est nous qui de notre haleineFécondons encore l’humus !« Rhizopodes, protocolaires,Ô zoophyte des amolli,Diatomée, ô statuaires,Grands architectes de la Terre,De ses sols et de ses sous-sols,Ô microcosmes, bactéries,Fondateurs d’empires vivants,Ô amibes, ô décaties,Fatales comme des amants !… »3Aussi la gloire de l’homme est d’un spectacleQui confond l’élémentaire probité…Il est aisé de monter au pinacleQuand l’ouvrier vous y a porté !Les humbles qui bâtirent l’édificeSous lequel nous nous voyons abritésOnt droit vraiment à un peu de justice,— Oh ! rien qu’à la mémoire du sacrifice,— Et nous, droit… à un peu de vérité !
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Les
Infiniment petits
Veidaux, André
mercredi 22 février 2023, par
Texte d’André Veidaux (≤1899).
Paru aussi in : Le Libertaire, 3e série (1899-1901), in nº 9 (31 décembre 1899-6 janvier 1900).