1SOMNOLENCESots ennemis des divergences,En gnosiphobes absolus,Ils gardent leurs intelligencesDe supputer les contingences.Ils bâfrent : rien ne leur est plus !Laissant les questions d’écolesQui sont pour eux de vastes colles,Craignent-ils d’être désolesÀ créer des contentions !Mais ils se vantent d’être idoines,Plus que soudards et mieux que moines,À faire enfler leurs péritoinesSous de rudes libations.De leur bedaine bien repueGrimpe par éructationsÀ leur bouche grasse et lippueUne haleine tiède qui pueLe labeur des digestions.Ils se vautrent, par habitude,Dans l’épaisse béatitudeQui par tous leurs pores exsude ;Et sur leur quadruple mentonLeur face leucoflegmatiqueOu bêtement apoplectiquePenche ; et déjà la sciatiqueLeur fait des cuisses de coton.Les yeux clos, alors que s’opèreLa ponction des aliments,— Le ventre étant leur seul repère —À celui qui fut le compèreDu leur ils songent par moments…Ventres ridés, ventres rigidesD’épouses présent rigides,Qu’ils ont meurtris sous leurs égidesDe la Famille et de la Loi,Ventres estampés par les couches,Vous n’êtes plus bons pour leurs couches.On parle de nouvelles couches :Il leur faut un meilleur aloi !C’est pourquoi de la désoléeToison de vos pubis ternisD’où la prime astre s’est envoléeS’en court leur pensée, affolée,Vers des horizon » infinis.Là sont des gamines griséesAu champagne, poudrerizées.Qui, sans les bouffettes frisées,Conservent intact leur hymen,Mais font oublier, captivantes,Par les caresses innervantesD’autres muqueuses plus savantesCelles de dessous l’abdomen.Et cette pensée encore jaseÀ ces vieux échansons d’Éros :« Quoi ? l’amour n’a-t-il qu’une phase ?« Cherchez-vous quelque nouveau vase ?« Les Sapins ont bien leur Lesbos.« Il est des excès que l’on ose ;« Il ne faut pas qu’on s’ankylose« À faire à la papa la chose :« Bébé te le coït décent !« Ève n’a pas seule la pomme ! »Or, tranquillement, dans un somme,Ils s’en vont jusques à SodomeOù languit quelque adolescent.Tiens ! ces messieurs que guettent l’asthmeLe gâtisme, « e tutti quanti »,Appètent d’éprouver un spasmeNeuf à chaque aphrodisiaque ;Ils veulent avoir ressenti,Avant d’abandonner ce monde.Tout le Plaisir, que rien n’émonde :Du sublime jusqu’à l’immonde !Et de leur inepte cerveauLes cellules endoloriesVoient défiler les théoriesD’étranges fantasmagoriesÉmanant d’un désir nouveau.2SONGEÔ le songe !Par la Porte d’ivoire ou de Corne venu.Que de fois du délire au sein duquel il plongeNe fait-il pas hélas ! l’amertume qui rongeLe cœur le mieux entretenu ?Ô le songe !Il entre bel ou laid. Et son port biscornuFait naître ris ou pleurs : ou veut qu’il se prolongeQuand il titille, ou bien que cesse son mesongeLorsqu’il apparaît saugrenu.Ô le songe !Le graveleux ! le raide ! adoré du chenu !Qui rend de la vigueur au podagre qui flonge !Lui trouble les esprits ! lui caresse la longe !Et crée un prurit inconnu !Ô le songe !Ô la satyriase ! ô le rut maintenu !Dans l’exonéirose ardente qui l’allonge !Ô le linge étonné qu’on le froisse et qui fonge !Ô la folle ivresse de nu !Ô le songe !…Lorsque l’on a par lui tant de charme obtenu,Pourquoi faut-il qu’il vienne ainsi que coup d’épongeEffacer le bonheur ; et brise-t-il sa longe,Lien si faible, si ténu ?3CAUCHEMARLes lombes, sous les lancinancesDu stupre en le rêve établi,Comme répudiant l’oubli,Des anciennes incontinences,Les lombes ont faibli.La torpeur a gagné les moelles,Menaçant leur cohésion ;Le mythe en sa dérisionChange, en s’obscurcissant de voiles,L’aimable vision.Déjà deviennent indiciblesLes impures vicieux :Les éphèbes délicieux,Aussi les » fillettes gracilesAux yeux malicieux…Maintenant c’est toute une bandeQui, fantasque méli-mélo,Transforme soudain le tableauOù se danse la sarabandeDe tout ce populo.Tout s’irradie et tout rougeoie ;Illuminant les figurants,Maints artifices fulgurantsÉpandent des lueurs de joiePar l’épaisseur des rangs.C’est une chimérique fêteOù prennent place le repu,Le corrupteur, le corrompu,Tous ceux-là qui tiennent le faîte…-- Le charme s’est rompu !Car, dans l’immense pétaradeDe satisfaits et de mafflus,Leurs bons visages ne sont plusQue binettes de mascaradeAux rictus invoulus.Tout craque, et s’effrite, et s’effondre,De ce qui fut gloire jadis ;Et, sur ce tas de refroidis,On voit s’unir et se confondreLe Vrai, le Beau : grandis.4RÉVEILEn ce choc des métamorphosesOù croulent les vieilles cités ;Sous ce heurt violent des choses.Des êtres et des entités ;Devant cet étrange spectacleQu’offrent les immanents destins :Du gavé les lourds intestins.— Où gît son âme, réceptacleDes plus criminelles erreurs —Surgissent les noires terreurs.Mais tant brutale est leur secousseEt si prompt l’envahissement,Que leur acuité s’émousse ;Et c’est dans l’ébahissement.Dans le bizarre des orblutes,Que s’épanouit le réveilEt que disparaît l’appareilQu’on entrevit d’ultimes luttes.Alors les espoirs sont reniésQui vont rejoindre leurs aînés.Car le cauchemar a fait trêveEt son cortège de frayeursS’éteint avec le mauvais rêve… :« Appelle donc les jours meilleurs,« Bon opprimé, pour que j’en rie !« Je demeure le Capital !« Et, solide à mon piédestal,« Je compte sur ta veulerie.« Tu n’es que mots, illuminé…« Crève, nous avons bien dîné ! »
Repus
Bercy, Léon de
jeudi 23 février 2023, par
Texte de Léon de Bercy (≤1900).
Paru aussi in : Le Libertaire, 3e série (1899-1901), in nº 42 (16-22 septembre 1900).