1Puisqu’il : semble écrit que parmi les hommesIl en doit toujours être de maudits,Que contre les gueux — les gueux que nous sommes —Le sort a rendu d’éternels édits :Puisqu’il n’est pour nous que peines amèresQue nous acceptons sans risquer un cri,Rions du réel, rions aux chimères,De peur de mourir avant d’avoir ri !2Puisque constamment devant la puissance— Que le grand pourtant n’acquiert que de nous —Humbles par calcul ou serfs par essence,On nous voit encore fléchir les genoux ;Puisque nos aiglons rêvent en leurs airesDans l’attente encore du Grand Pilori,Rions des rigueurs, rions aux misères.De peur de mourir avant d’avoir ri !3Puisque l’ignorance, encore et sans cesse,Rend veule notre âme et veules nos corps ;Puisque nos restons bas en la bassesse.Inaptes toujours aux féconds accords ;Puisque se complaît aux pensers funèbresNotre pauvre cœur de deuils assombri.Rions du ciel clair, rions aux ténèbres,De peur de mourir avant d’avoir ri !4Puisque nous laissons aux mêmes musiqueS’endormir l’élan de notre cerveauEt que le concert des métaphysiquesEngourdit l’essai du Geste nouveau ;Puisqu’au jour qu’il est, en nos consciencesL’espoir né d’hier est déjà flétri.Rions du savant, rions aux sciences.De peur de mourir avant d’avoir ri !5D’aucuns ont parlé de l’âme immortelle— Principe qu’un Christ a pris d1 Platon —Et si l’existence est aujourd’hui telle,C’est pour que les cieux soient nôtres, dit-on…Puisque notre vie est tant enviable,Avant que pour nous le lys ait fleuri.Rions de leurs dieux et rions au diable,De peur de mourir avant d’avoir ri !
Chanson « Rires ironiques » de Léon de Bercy ; musique de Jean Cerneuil
In Le Libertaire, 3e série, nº 44 (302 septembre-7 octobre 1900).