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Le

Régiment

Galilée, Charles

lundi 6 mars 2023, par claude

Texte de Charles Galilée (1901).
1
Chez les peuples civilisés,
C’est-à-dire : Terrorisés…
Après l’école, la famille
Et l’église (cette guenille !)
Nous avons, bagne permanent,
Cette geôle : le régiment.
 
2
Chacun s’y rend triste ou joyeux
Selon qu’il est plus ou moins gueux ;
Qu’il chante ou pleure sur la route,
La cervelle et l’âme en déroute,
L’homme va DÉLIBÉRÉMENT
S’emprisonner au régiment.
 
3
Adieu volupté, joie, amour !…
« Bah ! c’est dans trois ans le retour… »
Quelle attende un brin la payse,
— Déjà mère, amante, ou promise —
Ou quelle prenne un autre amant…
On broie les cœurs au régiment.
 
4
Les mères, malgré leur émoi,
S’inclinent devant — sombre loi…
L’impôt du sang — ainsi l’on nomme
Cette servitude de l’homme :
Apprendre méthodiquement
À tuer, but du régiment.
 
5
Les soldats de profession,
Aux gages d’une nation,
Docteurs es-crimes, après boire,
Rêvent de conquêtes, de gloire
Dont le carnage est l’ornement ;
On est lugubre au régiment.
 
6
Plus despotes que les tyrans,
Ces messieurs usent — mots courants,
La langue verte la plus crue
Pour qualifier la recrue
Qui dépasse l’alignement
Cher aux cuistres du régiment.
 
7
Ils ont fait leurs humanités…
Amoureux des passivités,
Ils goguenardent et, brutalisent
Le pioupiou qu’ils ridiculisent,
À toute heure, ostensiblement :
On n’est pas brave au régiment.
 
8
Celui-ci, son âme brisant,
Ouvrier, bourgeois, paysan,
Cependant que le maître exulte,
Courbe l’échine sous l’insulte,
Par peur ou par tempérament ;
On devient lâche au régiment.
 
9
Parfois, un homme, se trouvant
Parmi les pitres, (fou rêvant
De la justice), enfin se cabre
Et crache sur le plat du sabre
Son dégoût, son écœurèrent,
À la face du régiment !
 
10
Bons camarades, soucieux
De congratuler ces messieurs…
Ses frères d’armes de naguère
Témoignent au conseil de guerre
Du fait ! — C’est dans le règlement
Théorique du régiment.
 
11
C’est cinq ans, dix ans, vingt, la mort.
Le droit cède au droit du plus fort !
Logique vraiment militaire :
Il faut succomber ou se taire,
Car : être vaillant librement,
C’est faire affront au régiment,
 
12
Souvent, — pour se faire la main ! !
On traque le bétail humain
Au fond de quelque obscure Afrique,
On traque, on tue, on pille, on trique
Les populaces — simplement
Pour la, gloire du régiment !
 
13
Si l’on revient, triste bétail,
On n’a plus le goût du travail ;
On n’aime plus rien que l’orgie ;
On parle de lame rougie
Dans les poitrines…, simplement :
On est cynique au régiment.
 
14
Nous autres, les gueux révoltés
Les anarchos, les indomptés,
Nous voulons briser les épées
Et méprisant les épopées,
Nous revendiquons hautement
Le droit de fuir le régiment.
 
15
École absurde où la bonté
S’engloutit dans l’insanité ;
École du crime où l’horrible
Côtoie, ayant l’être pour cible.
La honte et l’asservissement !
C’est le bilan du régiment.
 
16
Nous qui voulons en paix aimer,
Nous tenons à vous informer,
Repus et prêtres de ripaille !
Que : si nous faisons la bataille
Dans un suprême emportement∞
C’est pour vaincre le régiment.
 
17
Au jour de révolution.
Peuples, groupés pour l’action,
Abattrons pitres et fantoches !
Les vieux côtoieront les gavroches,
Marchant vers l’affranchissement ;
Plus ne sera de régiment !

Paris, le 10 novembre 1901.


Paru aussi in : Le Libertaire, 4e série (1899-1901), in 8e année, nº 2 (16-23 novembre 1901).