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La

Police

Galilée, Charles

lundi 6 mars 2023, par claude

Texte de Charles Galilée (1901).
1
À Téhéran comme à Dublin —
Inhérente à tout ministère
Qui se respecte sur la terre —
À Chicago comme à Berlin,
À Tombouctou comme à Nanterre…
Enfin dans chaque patelin,
Il existe (boîte à malice !)
Ce monstre crasseux : La police.
 
2
Elle est ici, là-bas, ailleurs ;
Partout elle trône et demeure ;
Elle se démène à toute heure
Sur l’pauvr’monde et dans les meilleurs
Elle s’esclaffe quand on pleure…
Elle vous a des airs railleurs
Selon Monsieur de la Palice,
Elle est cynique la Police.
 
3
Elle s’agite dans la nuit ;
Monstre de proie enflé de ruse,
Elle tient beaucoup de la buse
Et de la hyène ; c’est sans bruit
Qu’elle déchire, qu’elle accuse,
Qu’elle exécute et qu’elle fuit…
À l’allure de l’écrevisse,
Elle travaille la police.
 
4
Elle travaille — si l’on peut
Appeler travail l’exercice
De ces fonctions de protectrice
De la forfaiture de tout lieu,
Du parasite et du jocrisse —
Elle travaille au petit jeu
Du hasard et de la condice
Elle s’occupe la police !
 
5
Elle s’occupe un peu partout :
Amoureuse de qui la paye,
Cupidement elle balaye
Tous les trottoirs… Et chaque coup
La comble, la rente et l’égaye !…
On dit qu’elle tient le bon bout —
La queue de la poêle aux supplices…
— Elle « cuisine » la police.
 
6
Elle cuisine, c’est connu,
Artistement les consciences ;
Elle excelle dans les sciences
Occultes ; chaque prévenu
(Sous le poids de ses presciences)
S’accuse et met son âme à nu,
En appelant le sacrifice !
— Elle est géniale la police…
 
7
Elle est géniale à la façon
D’Escobar et de ses disciples ;
Ses exploits se doublent, se triplent…
Pour que le peuple à l’unisson
Chante sur des rythmes multiples
La préhistorique chanson
De la race décoratrice —
Elle se garde la police !
 
8
Elle se garde, car elle est
aite par tous les gens à vendre…
Et (pour un peu plus tard) à pendre —
Elle est faite par le valet
Contre le maître, prêt à lui rendre
La pareille (s’il le fallait !…) —
Sous la blouse ou sous la pelisse.
Elle se cache la police.
 
9
Elle se cache par instinct,
N’ayant de la bête de proie
Que la dent canine qui broie —
Et non le courage enfantin :
C est à l’abri quelle elle foudroie
Ou qu’elle espionne ; son rotin
Ne s’agite qu’en pleine lice,
Sous l’œil des chefs… — V’là la police î
 
10
V’là la police…Frappant, hurlant,
Parmi la foule, — elle est en nombre !
C’est ainsi qu’elle sort de l’ombre ;
Massée, elle plastronne… et — vlan !…
Elle s’ébranle et désencombre
La route, la place ou le clan —
Plus cruelle que la milice,
Elle s’acharne… la police.
 
11
Elle s’acharne sans courroux
Et sans conviction aucune,
On pourrait dire sans rancune…
Par besoin de tuer ; ses goûts
Sont ceux de la brute ; et pécurie)
Est pour quelque chose à ses coups, —
On tient compte de ses services
Car elle émarge la police !
 
12
À l’année, au mois, au forfait,
Elle émarge à la grande caisse,
Plus on tue… et plus on s’engraisse !
Les prix sont là… le taux est fait,
C’est (tant) par tranch’ quelle elle confesse
Ou bien, livre avec ses effets
À ce qu’on nomme la justice ! —
Or, elle est grasse la police…
 
13
Elle est grasse et repue à point —
Vraiment, on nous l’a bien soignée !
Et ceux-là qui l’ont dédaignée
Peuvent croire à son embonpoint ;
Qu’un beau jour elle soit saignée…
Et chacun de nous, dans son coin,
La déchiquètera… — Délice !
Mais elle veille, la police !
 
14
Elle veille sur tout, et rien
N’échappe à ses calots de Pieuvre ;
Habilement elle manœuvre
(Pour son compte) aussi pour le tien,
Ô politique ! Son chef-d’œuvre,
En somme, c’est ton entretien.
Que serais-tu sans ta complice,
Ô politique ? — Ah ! la Police…
 
15
Ah ! la Police… Tu lui dois
Ta sécurité passagère,
La peur que ta voix mensongère
Imprime aux peuples aux abois ;
Le silence quelle elle suggère
À ceux que tu crains, par d’adroits…
« Pour d’exceptionnels services. »
Tu lui dois tout à la police…
 
16
Tu lui dois tout : elle est pour toi
L’Deus ex machina du crime…
Qui supprimant le plus sublime
Courbe les autres sous ta loi ;
Pour ton orgie, elle s’escrime
Et trafique sous chaque toit ;
Effective ou indicatrice,
Elle t’entoure la police…
 
17
Elle t’entoure : te défend,
Et te surveille… à la fois. Songe !…
Elle est l’arbitre du mensonge
Et de la vérité ! ! Pouffant
À chaque séance… elle ronge
L’os à moelle que, bon enfant,
Chacun lui donne pour son vice.
Elle est l’arbitre la police !
 
18
Elle est l’arbitre… — Ainsi soit-il !…
Tirons l’échelle et quittons l’antre
Où l’homme, de la tête au ventre,
Se laisse dévorer ! Subtil,
Que notre esprit s’envole et rentre
À l’aurore, loin de tout profil
De crétin à l’œil en coulisse,
Loin du spectre de la police.
 
19
Au matin proche où, pour son droit,
L’homme saura combattre et vivre ;
Ou le tourmenteur sur le givre,
En dépit de ses cris d’effroi,
Sera placé pour qu’il délivre
Les masses… en crevant de froid ;
Sur un funèbre frontispice
On lira ce nom : La police.
 
20
Car aux bons temps que nous rêvons
L’on ne connaîtra plus la haine,
Ni la honte, ni la géhenne,
Ni les codes que nous bravons
La poche vide et l’âme pleine
Des joies que nous concevons
Pour cette ère réparatrice,
Où l’on vivra sans la police !
 
21
Où l’on vivra joyeusement —
Tout ordre et toute oligarchie
Étant détruits par l’anarchie —
On vivra dans l’enchantement,
Fort de l’amour qui magnifie
Celui qu’il anime un moment ;
On vivra selon son caprice…
On ignorera la police.
 
22
Les érudits, les professeurs
Chanteront que c’était une hydre
Vivant au temps où la clepsydre
Fut inventée — Et les farceurs
Répondront qu’elle était anhydre, —
Gourmande du sang des penseurs
Quelle elle conduisait au supplice,
Pour un peu d’or…
 
Ah ! la Police !

Paris, décembre 1901.


Escobar : argot pour trompeur, hypocrite, d’après Antonio Escobar y Mendoza (1589-1669, jésuite et casuiste.


Paru aussi in : Le Libertaire, 4e série (1899-1901), in 8e année, nº 14 (14-21 février 1902).