1À Téhéran comme à Dublin —Inhérente à tout ministèreQui se respecte sur la terre —À Chicago comme à Berlin,À Tombouctou comme à Nanterre…Enfin dans chaque patelin,Il existe (boîte à malice !)Ce monstre crasseux : La police.2Elle est ici, là-bas, ailleurs ;Partout elle trône et demeure ;Elle se démène à toute heureSur l’pauvr’monde et dans les meilleursElle s’esclaffe quand on pleure…Elle vous a des airs railleursSelon Monsieur de la Palice,Elle est cynique la Police.3Elle s’agite dans la nuit ;Monstre de proie enflé de ruse,Elle tient beaucoup de la buseEt de la hyène ; c’est sans bruitQu’elle déchire, qu’elle accuse,Qu’elle exécute et qu’elle fuit…À l’allure de l’écrevisse,Elle travaille la police.4Elle travaille — si l’on peutAppeler travail l’exerciceDe ces fonctions de protectriceDe la forfaiture de tout lieu,Du parasite et du jocrisse —Elle travaille au petit jeuDu hasard et de la condice…Elle s’occupe la police !5Elle s’occupe un peu partout :Amoureuse de qui la paye,Cupidement elle balayeTous les trottoirs… Et chaque coupLa comble, la rente et l’égaye !…On dit qu’elle tient le bon bout —La queue de la poêle aux supplices…— Elle « cuisine » la police.6Elle cuisine, c’est connu,Artistement les consciences ;Elle excelle dans les sciencesOccultes ; chaque prévenu(Sous le poids de ses presciences)S’accuse et met son âme à nu,En appelant le sacrifice !— Elle est géniale la police…7Elle est géniale à la façonD’Escobar et de ses disciples ;Ses exploits se doublent, se triplent…Pour que le peuple à l’unissonChante sur des rythmes multiplesLa préhistorique chansonDe la race décoratrice —Elle se garde la police !8Elle se garde, car elle estaite par tous les gens à vendre…Et (pour un peu plus tard) à pendre —Elle est faite par le valetContre le maître, prêt à lui rendreLa pareille (s’il le fallait !…) —Sous la blouse ou sous la pelisse.Elle se cache la police.9Elle se cache par instinct,N’ayant de la bête de proieQue la dent canine qui broie —Et non le courage enfantin :C est à l’abri quelle elle foudroieOu qu’elle espionne ; son rotinNe s’agite qu’en pleine lice,Sous l’œil des chefs… — V’là la police î10V’là la police…Frappant, hurlant,Parmi la foule, — elle est en nombre !C’est ainsi qu’elle sort de l’ombre ;Massée, elle plastronne… et — vlan !…Elle s’ébranle et désencombreLa route, la place ou le clan —Plus cruelle que la milice,Elle s’acharne… la police.11Elle s’acharne sans courrouxEt sans conviction aucune,On pourrait dire sans rancune…Par besoin de tuer ; ses goûtsSont ceux de la brute ; et pécurie)Est pour quelque chose à ses coups, —On tient compte de ses servicesCar elle émarge la police !12À l’année, au mois, au forfait,Elle émarge à la grande caisse,Plus on tue… et plus on s’engraisse !Les prix sont là… le taux est fait,C’est (tant) par tranch’ quelle elle confesseOu bien, livre avec ses effetsÀ ce qu’on nomme la justice ! —Or, elle est grasse la police…13Elle est grasse et repue à point —Vraiment, on nous l’a bien soignée !Et ceux-là qui l’ont dédaignéePeuvent croire à son embonpoint ;Qu’un beau jour elle soit saignée…Et chacun de nous, dans son coin,La déchiquètera… — Délice !Mais elle veille, la police !14Elle veille sur tout, et rienN’échappe à ses calots de Pieuvre ;Habilement elle manœuvre(Pour son compte) aussi pour le tien,Ô politique ! Son chef-d’œuvre,En somme, c’est ton entretien.Que serais-tu sans ta complice,Ô politique ? — Ah ! la Police…15Ah ! la Police… Tu lui doisTa sécurité passagère,La peur que ta voix mensongèreImprime aux peuples aux abois ;Le silence quelle elle suggèreÀ ceux que tu crains, par d’adroits…« Pour d’exceptionnels services. »Tu lui dois tout à la police…16Tu lui dois tout : elle est pour toiL’Deus ex machina du crime…Qui supprimant le plus sublimeCourbe les autres sous ta loi ;Pour ton orgie, elle s’escrimeEt trafique sous chaque toit ;Effective ou indicatrice,Elle t’entoure la police…17Elle t’entoure : te défend,Et te surveille… à la fois. Songe !…Elle est l’arbitre du mensongeEt de la vérité ! ! PouffantÀ chaque séance… elle rongeL’os à moelle que, bon enfant,Chacun lui donne pour son vice.Elle est l’arbitre la police !18Elle est l’arbitre… — Ainsi soit-il !…Tirons l’échelle et quittons l’antreOù l’homme, de la tête au ventre,Se laisse dévorer ! Subtil,Que notre esprit s’envole et rentreÀ l’aurore, loin de tout profilDe crétin à l’œil en coulisse,Loin du spectre de la police.19Au matin proche où, pour son droit,L’homme saura combattre et vivre ;Ou le tourmenteur sur le givre,En dépit de ses cris d’effroi,Sera placé pour qu’il délivreLes masses… en crevant de froid ;Sur un funèbre frontispiceOn lira ce nom : La police.20Car aux bons temps que nous rêvonsL’on ne connaîtra plus la haine,Ni la honte, ni la géhenne,Ni les codes que nous bravonsLa poche vide et l’âme pleineDes joies que nous concevonsPour cette ère réparatrice,Où l’on vivra sans la police !21Où l’on vivra joyeusement —Tout ordre et toute oligarchieÉtant détruits par l’anarchie —On vivra dans l’enchantement,Fort de l’amour qui magnifieCelui qu’il anime un moment ;On vivra selon son caprice…On ignorera la police.22Les érudits, les professeursChanteront que c’était une hydreVivant au temps où la clepsydreFut inventée — Et les farceursRépondront qu’elle était anhydre, —Gourmande du sang des penseursQuelle elle conduisait au supplice,Pour un peu d’or…Ah ! la Police !
Paris, décembre 1901.