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Chant royal des propriétaires

Galilée, Charles

lundi 6 mars 2023, par claude

Texte de Charles Galilée (1902).
1
Problocs, propriétaires, proprios,
Pullulent gras, plus que des poux. — Masures,
Maisons de rapport, cottages, châteaux,
Terrains… tout est leur bien, parce qu’ils eurent
L’audace de le dire, un jour d’usure.
À les en croire, toute la terre est leur :
Ils l’ont payée, achetée ! Et les fleurs,
Les fruits, les blés et la nature toute
Croissent pour leur seul bien-être !
— Ribleurs.
Les proprios n’ont pas muré les routes…
 
2
Fils à papa, tarés dès le berceau,
Gueux parvenus par l’ordre et la mesure,
Faux mendiants enrichis par les sots,
Marlous d’un dieu que la bêtise azure.
Ont mi-bas tous droits. Dans l’embrasure
De leur fenêtre… quand le vent siffleur
Gifle leur face, ils appellent : « Au voleur ! »
Sphynx orgueilleux que les simples redoutent ;
Pitres sans rire, hélas !…
Ô Bateleurs !
Les proprios n’ont pas muré les routes…
 
3
Les huissiers vils, en quête d’os
À ronger, s’évertuent — magistrature ?
À déchirer les malheureux lambeaux
Des miséreux qui ne paient la facture.
Braqués, chassés, les pauvres sans clôture
S’en vont transis, lâches, vaincus, trembleurs,
Cacher leur peine, honteux de leur pâleur,
Dans un autre antre, et plus avant s’encroûtent,
Et plus encore rampent !
— Souffre-douleur !
Les proprios n’ont pas muré les routes…
 
4
Quand, se gaussant des buses, un moineau
S’envole et chante, en dépit des ferrures,
Sans rien laisser dans l’ombre du créneau
Qu’un parfum vague, et d’amour et d’ordures…
Nous rions ! car : nulles les procédures ;
Nus les exploits des fauves oiseleurs ;
Nulles aussi les menaces !…Valeurs
Brûlent les mains de ceux qui les filoutent.
Terrorisons les mufles, francs-fileurs !
Les proprios n’ont pas muré les routes…
 
5
Ainsi parfois, narguant les vieux trumeaux,
Viennent sans peur quelques âmes obscures
Grossir la masse — aux villes, aux hameaux —
Des révoltés ; élargir les piqûres
Faites au cœur des poux de sinécures,
Des parasites de toutes couleurs,
Monde affolé par les cambrioleurs ;
Monde juché sur un trône de doutes,
Par l’inconscience humaine.
— Ah ! Malheur !
Les proprios n’ont pas muré les routes…
 
envoi
Un jour d’orage où tanneront les pleurs
Des expulsés, se paieront les douleurs.
— Peuples ! Vos pas ébranleront les voûtes
Des vieux châteaux quand vous voudrez ! — Les fleurs,
Les fruits, les blés…, sont à ceux qui les broutent.
Quand vous voudrez les temps seront meilleurs :
Les proprios n’ont pas muré les routes…

Paris, le 17 février 1902.


Paru aussi in : Le Libertaire, 4e série (1899-1901), in 8e année, nº 15 (22 février-1er mars 1902).