1Pardon, monsieur le Candidat,Voulez-vous nous entendre ?Vous qui réclamez un mandat,Saurez-vous nous défendre ?— Bons électeurs, je vous écoute,Parlez. Et sur l’honneur,Je saurai bien, coûte que coûte,Faire votre bonheur.2Nous travaillons matin et soir,Tout le jour à l’ouvrage,Mais l’avenir est sans espoirEt nous perdons courage.— Bons électeurs, sur ma promesse,Comptez avec raison ;Vous aimez, pour votre vieillesse,Le pain et la maison.3Nous nous exténuons sans finPour un maigre salaire,Mais nos enfants ont toujours faim,Nous ne savons qu’y faire.— Bons électeurs, soyez sans crainte,Je sais ce que je dois ;Et je transmettrai votre plainteÀ Messieurs les Bourgeois.4Nous sommes brisés et fourbus,Durant toute l’année ;Nous avons les membres rompus,Trop longue est la journée.— Bons électeurs qu’on persécuteSi je suis candidat,C’est afin d’entamer la lutteContre le patronat.4On prend nos enfants à vingt ans ;On les jette aux frontières ;Pourquoi donc ces combats sanglants ?Tous les hommes sont frères.— Savoir défendre, sa Patrie,Mourir pour le drapeau,C’est bien un sort digne d’envie,C’est le sort le plus beau !5Mais vous, monsieur le candidatRépondez sans mystère ;Vous plaignez notre triste état,Que comptez-vous y faire ?— Mes bons amis, il faut m’élire,Le moment est venu ;Les oppresseurs ne vont pas rire,Si je suis votre élu.6Nous sommes toujours exploités,Il est temps que ça cesse ;Nous voyons tous nos députésFaillir à leur promesse ;— Mes amis, soyez sans rancune,Laissez-moi réussir ;Et j’irai décrocher la lunePour vous faire plaisir.7Quand le grand moment arriva,L’électeur bénévole,Pour le bon apôtre vota,Croyant en sa parole ;Mais lui, grisé par sa fortuneLes lâcha sans détours,Puis à la Chambre, à la tribune,Il fit un long discours.8Depuis on le voit s’engraissant,Bouffant notre galette ;Parfois, il déclare en riantQue le peuple est trop bête.Vous pourrez vous offrir nos poires,Tant que tous vos crétinsIront aux urnes dérisoiresPorter leurs bulletins.
Le
Candidat
vendu, un
mardi 7 mars 2023, par
Texte anonyme signé « Un vendu » (≤1902). Sur l’air : « Le Couteau » (1900) du chansonnier Théodore Botrel (1868-1925).
Paru aussi in : Le Libertaire, 4e série (1899-1901), in 8e année, nº 20 (23-30 mars 1902).