La propriété, c’est le vol !
Pierre-Joseph Proudhon
Aux temps passés, dans l’enfance des âges,Sans autre loi que la communauté,L’homme vivait à l’abri des oragesQue de nos jours porte la pauvreté.Comme un lion, de fumantes entrailles,Il n’avait point, dépeçant notre sol,Encore osé l’entourer de murailles :La Propriété, c’est le vol !Les conquérants, nos maîtres légitimes,Les hauts barons des siècles féodaux,Les cardinaux gorgés de l’or des dîmesEt tout clinquants de pompeux oripeaux ;Tous ces tyrans qui planent dans l’histoireSur nos sueurs ont élevés leur vol…Qu’un cri vengeur flétrisse leur mémoire :La Propriété, c’est le vol !Leurs descendants, hommes de noble race,Jusqu’au dix Août nous ont rivé des fers ;Et depuis lors, une engeance rapace,La Bourgeoisie a son peuple de serfs.Le Producteur, courbé sous le salaireComme un bétail sous le pesant licol,Du Capital est toujours tributaire :La Propriété, c’est le vol !Dans un hôtel, cénacle de l’orgie,Sous les rideaux de velours frangés d’or,Au sein du luxe, aux bras d’une AspasieL’oisif banquier sait s’enrichir encor.C’est qu’extrayant aux flammes de l’usureDe tout travail le plus pur alcool,Il n’est pour lui d’autres cieux que… Mercure ;La Propriété, c’est le vol !Le détenteur d’un immeuble de pierre,Poule aux œufs d’or aux mains du tenancier,Le fainéant titré propriétairePour se loger rançonne l’ouvrier.C’est que toujours un Parlement servileDu riche escroc légalisa le dol.Quatre fois l’an se vend le même asileLa Propriété, c’est le vol !Dans son bazar, temple de la rapine,À son comptoir, autel de l’impudeur,Le boutiquier, fidèle à sa doctrine,Vend, à faux poids, sa drogue et son honneur.Comme en nos champs l’insecte parasite,Des cents produits de l’usine ou du solIl sait tirer plus d’un lucre illicite :La Propriété, c’est le vol !Profanateurs des lois démocratiques,Rois et Prélats, Banquiers et Boutiquiers,Caste bourgeoise, exploiteurs frénétiquesLa main du Peuple ébranle vos piliers…— Droit au travail ! Plus de classe suprême !Ou, de vos fers délivrant notre col,En vous broyant, nous crierons : anathème !La Propriété, c’est le vol !
Ponton, Le Triton (Cherbourg), 1848