Aux filles du peuple.
1Je viens de m’éveillerEt je suis déjà fatiguée.Ce matin, la nature est gaie.Mais il faut aller travailler,Et douze heures, sans sourciller,Le dos courbé sur la machine…Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !2Me voici dans mon coin,Je manque d’air, j’y vois à peine.Dire qu’il fait beau dans la plaine !Ici, le soleil n’entre point.J’en aurais pourtant bien besoinPour m’égayer à la machine…Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !3On sonne le dîner.Je n’ai pas faim, je suis trop lasse.Voilà deux ans que rien ne passe.Et, j’aurai beau me tisanner,Ça ne fera que couvinerÀ chaque tour de la machine…Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !4C’est beau d’avoir vingt ansQuand on est bien folle et bien fraîche !Moi, dans ce coin, je me dessèche.J’avais des couleurs dans le temps.Elles ont pris la clef des champs,Elles n’aimaient pas la machine…Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !5Ah ! je n’y vois plus clair.Mais la besogne est terminée.Comme c’est long une journée !Comme le pain qu’on gagne est cher !Vite, courons prendre un peu d’air,Bien loin, bien loin de la machine…Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !6Que doit-il advenirDe cette toux qui m’a meurtrie ?Ah ! j’aimais pourtant bien la vie !Minuit, je ne peux pas dormir.Ou, si je dors, c’est pour gémirOu pour rêver de la machine…Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !