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La

Machine

Clément, Jean Baptiste

lundi 8 mai 2023, par claude

Texte de Jean Baptiste Clément (1874).

Aux filles du peuple.

1
Je viens de m’éveiller
Et je suis déjà fatiguée.
Ce matin, la nature est gaie.
Mais il faut aller travailler,
Et douze heures, sans sourciller,
Le dos courbé sur la machine…
Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !
 
2
Me voici dans mon coin,
Je manque d’air, j’y vois à peine.
Dire qu’il fait beau dans la plaine !
Ici, le soleil n’entre point.
J’en aurais pourtant bien besoin
Pour m’égayer à la machine…
Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !
 
3
On sonne le dîner.
Je n’ai pas faim, je suis trop lasse.
Voilà deux ans que rien ne passe.
Et, j’aurai beau me tisanner,
Ça ne fera que couviner
À chaque tour de la machine…
Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !
 
4
C’est beau d’avoir vingt ans
Quand on est bien folle et bien fraîche !
Moi, dans ce coin, je me dessèche.
J’avais des couleurs dans le temps.
Elles ont pris la clef des champs,
Elles n’aimaient pas la machine…
Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !
 
5
Ah ! je n’y vois plus clair.
Mais la besogne est terminée.
Comme c’est long une journée !
Comme le pain qu’on gagne est cher !
Vite, courons prendre un peu d’air,
Bien loin, bien loin de la machine…
Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !
 
6
Que doit-il advenir
De cette toux qui m’a meurtrie ?
Ah ! j’aimais pourtant bien la vie !
Minuit, je ne peux pas dormir.
Ou, si je dors, c’est pour gémir
Ou pour rêver de la machine…
Oh ! que j’ai mal dans la poitrine !

Paru aussi in : Clément, Jean Baptiste. — La Chanson populaire. — Paris : Bibliothèque ouvrière socialiste, 1900. — 63 p. — P. 39-41.
« Nous dédions ces six couplets aux filles du peuple entassées pêle-mêle dans ces grands bagnes industriels où elles travaillent du matin au soir pour un salaire qui ne leur assure même pas le pain quotidien.
Des milliers de pauvres filles succombent tous les ans à cette vie de galères.
D’autres viennent prendre leur place sans s’inquiéter du sort qui leur est réservé.
Et, cependant, il n’est plus besoin d’écrire en grosses lettres sur le porte de ces bagnes :
“ici l’on tue !” On le sait.
Mais qu’importe ! Les hauts barons de la féodalité industrielle et financière n’ont pas le temps de s’arrêter à ces petites misères. Il leur faut avant tout bâcler des affaires et amasser des millions.
Quand aux forçats du travail, il leur reste l’hôpital, le trottoir ou la rivière.
C’est à peu près le seul moyen qu’ils aient de rompre leur ban !
Ah ! il est temps, ce nous semble, que nous ayons un peu plus le sentiment de la famille et que le peuple comprenne qu’il ne doit plus faire de ses enfants de la chair à produire pour les capitalistes et de la chair à canon pour les politiciens !
 »

Paru aussi in : Chansonnier de la révolution. — Genève : Le Réveil socialiste-anarchiste, 1902 (p. 74-75).