“Le Champ d’honneur”
1Ayant obligé l’homme de la terreÀ quitter l’outil des labeurs féconds,Pourquoi s’étonner du train militaireQui va chez la mort emplir ses wagons ?Pourquoi, franchement, ne pas dire au mondeCe que chaque jour gémit notre cœur :« Le champ dévasté par la guerre immondeEst un abattoir plus qu’un champ d’honneur ! »2Ayant obligé les hommes des villesÀ suivre au charnier l’homme des sillons,Pourquoi mépriser « les hordes serviles »Dont « les étendards sont des guenillons » ?Pourquoi de grands mots, de formules creusesTravestir des faits qui nous font horreur ?Le champ moissonné par les mitrailleusesEst un abattoir plus qu’un champ d’honneur !3Ayant obligé l’artiste qui râleÀ laisser mourir son rêve chantant,Pourquoi déplorer la chute brutaleDes temples bâtis par la foi d’antan ?Pourquoi célébrer la « grandeur du geste »Qui dans l’autre camp sème la terreur ?Le champ qu’aux vautours dispute la pesteEst un abattoir plus qu’un champ d’honneur !4Ayant obligé des mains fraternellesÀ rougir de sang les fleurs du chemin,Pourquoi poudrer d’or les funèbres ailesQu’ouvre en plein azur le mensonge humain ?« Temps nouveaux », « Progrès », « Liberté », « Justice » ?Miroirs d’histrions, hochets d’empereur…Le champ qu’ouvre aux gueux leur vain sacrificeEst un abattoir plus qu’un champ d’honneur !