« Au mur ! » disait le capitaine,La bouche pleineEt buvant dur… « .Au mur ! »« Qu’avez-vous fait ? — Pardon, mon brave.Vous avez faim, vous déjeunez,Vous ne voulez pas être esclaveNi conduit par le bout du nez.Tout ça, c’est bien et c’est d’un homme !Mais si l’on m’occit, mon ami,Dès lors que nous pensons tout comme,Vous devez l’être aussi.Comprends-tu ma logique ?Et vive la République ! »« Qu’avez-vous fait ? — Je suis des vôtres,Je suis vicaire à Saint-Bernard.J’ai dû, pour échapper aux autres,Rester huit jours dans un placard. »« Qu’avez-vous fait ? — Oh ! pas grand chose,De la misère et des enfants.Il est temps que je me repose,J’ai soixante-dix ans.Allons-y tout de suiteEt fusillez-moi vite. »« Qu’avez-vous fait ? — Voici deux listesAvec les noms de cent coquins :Femmes, enfants de communistes,Fusillez-moi tous ces gredins !... »« Qu’avez-vous fait ? — Je suis la veuveD’un officier mort au Bourget…Et, tenez, en voici la preuve :Regardez, s’il vous plaît…— Oh ! moi je porte encoreMon brassard tricolore. »« Qu’avez-vous fait ? — Quatre blessures,Six campagnes et deux congés !Je leur en ai fait voir de dures !Je suis lorrain… Ils sont vengés !— Moi, j’étais dans une ambulance :Les femmes ne se battent pas…Et j’ai soigné sans différenceFédérés et soldats.— Moi, je m’appelle AugusteEt j’ai treize ans tout juste ! »« Qu’avez-vous fait ? — Oh ! je suis morte !Un soldat, sans doute enivré,A tué mon père à la porte,Et mon crime est d’avoir pleuré… »« Qu’avez-vous fai t ? — Sale charogne !Fais-moi vite trouer la peau,Car j’en ai fait de la besogneAvec mon chassepot.Et d’une : tu vois la lune !Et d’deux : viv’ la Commune ! »« Au mur ! » disait le capitaine…
Londres, 1872