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Berceuse du « dormant »

Couté, Gaston

mardi 4 octobre 2022, par claude

Texte de Gaston Couté (1911). Sur l’air « Le P’tit quinquin » [= « L’Canchon dormoire »] d’Alexandre Desrousseaux (1820-1892).

Dans toute la région du Nord, les mamans pauvres ont l’habitude de confier leurs bébés à une soigneuse. Puis elles s’en vont gagner leur vie à la fabrique, à l’usine, dans les tissages.
La soigneuse a beaucoup d’enfants à garder. Pour ne pas être dérangée elle leur fait boire le « dormant » qui est une décoction de tête de pavot ! Le petit bébé gorgé d’opium… s’endort
Marcel Sembat (Les Hommes du jour).

Voyant pour l’usin’ partir sa mère,
Le pauvr’ ‘tit « quinquin » abandonné,
Dans ses langes gris de la Misère
S’débat en gueulant comme un damné !
Alors la vieille « soigneuse »,
En manière de berceuse
Grogn’ tout en faisant
Téter sa drogue à c’t’innocent !
 
Refrain
Tiens, vlà du « dormant »
Ch’tit garnement
Qui gueul’ tout l’temps…
Tu ne gueul’ras plus
Lorsque tu l’auras bu !
 
Voyant les richess’s qui sont sur terre,
L’ « gosse au dormant » ayant grandi,
Devant l’injustic’ de sa misère
Commence à r’sauter comme un maudit :
Alors, arrive le Prêtre
Qui sert au malheureux être
Une décoction
De tous les pavots d’la R’ligion…
 
À vingt ans, n’ayant rien su’ la terre,
Qu’est-c’qu’il irait faire au régiment ?
Se battr’ contr’ des frèr’s de misère :
Ça ne lui sourit aucunement !
Mais on l’saoûl’ comme un’ bourrique
De sottis’s patriotiques !
Nom de dieu, qu’c’est beau
La gloire et l’honneur du drapeau !
 
Plus tard, sombre esclav’, noir prolétaire,
Sentant en son cœur l’orag’ monter,
À bout d’injustice, à bout d’misère,
Il est sur le point de s’révolter ;
Pour le fair’ tenir tranquille
Son député, brave « quinz’-mille »
À coups d’boniments
Vient lui foutre encor du « dormant »

La rémunération annuelle de 15.000 francs que ce sont octroyé les députés en 1910 a donné l’expression « Q.M. » ou « quinz’ mill’ » — synonyme de député — et à faire le bonheur des antiparlementaires. Deux affiches de Jules Grandjouan pour le Comité révolutionnaire antiparlementaire sont sur ce thème.


« Chanson satirique d’actualité » parue dans La Guerre sociale (1906-1915) (15-21 février 1911).

Publié aussi dans le recueil nº 20 (1930) de Nos chansons (1920-1930) de La Muse rouge.