À mon ami Lorrain, de l’Opéra
Dans la rue ou souffle l’hiver,La nuit, en passant, je me hâte,Quand le geindre, nu comme un ver,Dans son fournil brasse la pâte :Derrière la chanson du pain,Je perçois la plainte émouvanteDes sans-croûtes, quand ils ont faim,Et des sans-taudis, lorsqu’il vente !Quand l’mitron, dans les pains, gémit,Dans le lointain, je crois entendreUn peuple affamé qui frémit ;Mon âme tressaille à ce bruit ;Je n’ai jamais pu m’en défendre !Sinistre, sans jamais s’asseoir,Fuyant les sergots en maraude,Le vagabond, sur le trottoir,Comme un voleur, dans l’ombre rôde ;Christ sans haine pour ses bourreaux,Il s’arrête, ouvrant la narine,Devant les larges soupirauxD’où monte une odeur de farine.Quand l’mitron, dans les pains, gémit,Dans le lointain, je crois entendreUn peuple affamé qui frémit ;Mon âme tressaille à ce bruit ;Je n’ai jamais pu m’en défendre !Gourmands, au ventre satisfait,Qui vous croyez invulnérables,Bourgeois, votre bonheur est faitDe la douceur des misérables.Patience ! Ils seront vengés :Au lointain, déjà, le jour grondeOù, dans les fours des boulangers,Le pain cuira pour tout le monde !Quand l’mitron, dans les pains, gémit,Dans le lointain, je crois entendreUn peuple affamé qui frémit ;Mon âme tressaille à ce bruit ;Je n’ai jamais pu m’en défendre !
18 janvier 1887