À ceux qui se réveillent
Le soleil, d’un mil de hibou,Sourit aux maisons pavoisées,Et mon fils me demande un souPour faire partir des fusées.Les bourgeois sont mis comme il fautEt les bourgeoises sont gentilles !…Attends, mon petiot,Il ne manque pas de Bastilles !Attends, mon petiot,Gardons la poudre pour tantôt !Paix aux faubourgs ! Vois-tu, moutard,Laissons gronder les citadelles ;Mais que le bruit de ton pétardNe trouble pas les hirondelles !Laisse becqueter le pierrot,Il gagne le pain qu’on lui jette…Attends, mon petiotTon ventre aussi craint la disette,Attends, mon petiot,Garde ta poudre pour tantôt !Pendant que l’on tue au TonkinDe pauvres gas qui sont nos frères,Et que des larmes d’arlequinOrnent leurs urnes funéraires,Reste bien sage, enfant, il fautNe pas troubler le deuil des femmes…Attends, mon petiot,Leurs cendres vont couver des flammes,Attends, mon petiot,Garde ta poudre pour tantôt !Fils, notre quartier n’est pas loinDes fossés du Père-Lachaise ;Je te l’ai bien montré, le coin !Il est des deuils que rien n’apaise.À chaque bruit de chassepotJe vois une mère qui pleure…Attends, mon petiot,Nous la vengerons tout à l’heure !Attends, mon petiot,Garde ta poudre pour tantôt !Laisse leurs fêtes aux bourgeoisCar, bientôt, nous aurons les nôtres ;Nous leur sacrifions nos droits,Nous, serfs, nous, martyrs, nous apôtres !Unis, eux, obéissent au motD’un Thiers, d’un Philippe ou d’un Corse…Attends, mon petiot,Ton droit ne vaut rien sans la force,Attends, mon petiot,Garde ta poudre pour tantôt !Leur République ?… Laisse-la !Laisse cette prostituéeDe Prudhomme ou de Loyola !Ces gueux bientôt l’auront tuée.Je sens dans ma gorge un sanglot.Ah ! que de sang dans nos annales !…Allons, mon petiot,Viens m’aider à fondre des balles !Allons ! mon petiot !Gardons la poudre pour tantôt !