Au député Planteau, député du groupe ouvrier
Buveurs de sang ! c’est le nom qu’on nous donneQuand nous montrons pour but l’égalité.Buveurs de sang, ceux-là qu’on emprisonne,Ceux qu’on fusille ! Est-ce un nom mérité ?Riche aveuglé, vois, pour emplir ton verre,Sous le pressoir un peuple agonisant.L’or que tu bois, c’est le sang de ton frère :Les buveurs d’or sont les buveurs de sang.« Chacun pour soi ! » Le ciel est sans étoiles,Le riche oisif, le marchand, l’escompteur,L’usure enfin, hideuse tend ses toilesDans tous les coins où passe un producteur.Fatalement prise par l’araignéeAux fils de glu qu’on nomme « tant pour cent ».La mouche meurt d^une lente saignée…Les buveurs d’or sont les buveurs de sang.L’homme d’État sans sa cravate blanche,Croit l’Océan remué sans sujet.Sa soif de l’or, à pleine outre il l’étanche ;Dans son fauteuil il cuve le budget ;Ses traitements nourriraient un village,Et quand la faim s’attroupe en maudissant,Ah ! le pauvre homme ! il a peur du pillage…Les buveurs d’or sont les buveurs de sang.L’esprit du temps nous fait des bras de fontePour centupler les travaux créateurs,Production, vainement ton flot monte,Ceux qui n’ont rien sont-ils consommateurs ?Le capital exploite la machine.L’ouvrier tombe à la lutte, impuissant.Les bras coupés par celte guillotine…Les buveurs d’or sont les buveurs de sang.Sondez l’enfer ; descendez dans la mine.Les assassins du bagne ont l’air du ciel ;Mais le mineur, pour un prix de famine,Trouve en son puits un air pestilentiel.Contre un tarif, pour peu qu’il se défende,La troupe donne et la grève cessant.Sur le massacre, on touche un dividende.Les buveurs d’or sont les buveurs de sang.
Paris, juin 1848