Vieux soldats de plomb que nous sommes,Au cordeau nous alignant tous,Si des rangs sortent quelques hommes,Tous nous crions : À bas les fous !On les persécute, on les tue ;Sauf, après un lent examen,À leur dresser une statue,Pour la gloire du genre humain.Combien de temps une pensée,Vierge obscure, attend son époux !Les sots la traitent d’insensée ;Le sage lui dit : Cachez-vous.Mais, la rencontrant loin du monde,Un fou qui croit au lendemain,L’épouse ; elle devient fécondePour le bonheur du genre humain.J’ai vu Saint-Simon le prophète m*,Riche d’abord, puis endetté,Qui des fondements jusqu’au faîteRefaisait la société.Plein de son œuvre commencée,Vieux, pour elle il tendait la main,Sûr qu’il embrassait la penséeQui doit sauver le genre humain.Fourier n* nous dit : Sors de la fange,Peuple en proie aux déceptions !Travaille, groupé par phalange,Dans un cercle d’attractions.La terre, après tant de désastres,Forme avec le ciel un hymen,Et la loi qui régit les astresDonne la paix au genre humain !Enfantin affranchit la femme,L’appelle à partager nos droits.Fi ! dites-vous ; sous l’épigrammeCes fous rêveurs tombent tous trois.Messieurs, lorsqu’en vain notre sphèreDu bonheur cherche le chemin,Honneur au fou qui ferait faireUn rêve heureux au genre humain !Qui découvrit un nouveau monde ?Un fou qu’on raillait en tout lieu.Sur la croix que son sang inondeUn fou qui meurt nous lègue un Dieu.Si demain, oubliant d’éclore,Le jour manquait, eh bien ! demain,Quelque fou trouverait encoreUn flambeau pour le genre humain.
Chanson « Les Fous » (1839 ?) de Pierre-Jean de Béranger (sur l’air « Ce magistrat irréprochable »)