Au jarret de nos chevauxIls ont su lancer leurs faulxCes Aryas !Ils nous ont vaincus ainsi,Les Lâches et nous voiciDes Parias.Ils se disent purs et douxEt sont, dévots, ces Hindoux,Ces Aryas !Mais ils mentent : les vainqueursN’ont jamais ouverts leurs cœursAux Parias.Ils ont bâti des citésPleines de félicitésCes Aryas !Mais ils les gardent pour euxLaissant les marais fiévreuxAux Parias.Ils ont des greniers de riz,Du bon vin, des pains fleuris,Ces Aryas,Et regardent, inhumains,Crever le long des cheminsLes Parias.Ils ont des lances, des dardsDes glaives, des étendardsCes AryasMais chez le tigre aux yeux vertsIls envoient nus comme versLes Parias.On dit qu’ils ont inventéDroit, justice et charitéCes Aryas !Des mots, des mots, et des mots !Cela guérit-il les mauxDes Parias ?Tant qu’ils seront les plus forts,Ils mettront tous leurs efforts,Ces Aryas,À saigner les malheureux,Les pauvres qui sont pour euxDes Parias.Ils ont des prêtres voleursEt des rajahs querelleurs,Ces Aryas !Et combats, vols et cadeaux,Tout se solde sur le dosDes Parias.Ils ont tout. Nous n’avons rien,Ils proclament que c’est bienCes Aryas,Et que Le bonheur, l’amour,Le ciel, ne sont pas faits pourLes Parias.Le ciel, ça nous est égal.Qu’ils en fassent leur régalCes Aryas !Hais tous les biens d’ici-bas,Pourquoi donc n’iraient-ils pasAux Parias ?Patience ! il vient un tempsQu’ils ne seront pas contents,Ces Aryas,Quand tous les pauvres meurtrisSe soulèveront aux crisDes Parias.Sont-ils donc plus fiers que nous ?Je les ai vus à genouxCes Aryas !Et leurs dieux, qui ne sont pointN’ont jamais vu que le poingDes Parias.Nous le montrerons aussiÀ ces maitres sans merci,Ces Aryas,Quand le jour sera venu,D’y brandir le sabre nuDes Parias .En attendant, fou d’orgueil,Comme ils raillent notre deuil,Ces Aryas,Courbons-nous, petits, petits,Mais gardons nos appétitsDe Parias.Dans l’ombre où nous travaillons,S’ils comptaient nos bataillons,Ces Aryas,Plus nombreux que les fourmisIls verraient les insoumis,Les Parias.Mais ils n’ouvrent pas les yeux,Se croient forts et sont joyeux,Ces Aryas !Voici l’heure, mon sang bout.Alerte ! alerte ! DeboutLes Parias !Ah ! vengeance, et sans remord !Nous crierons : À mort, à mortCes AryasTue ! à mort ! c’est dans leur peauQu’on taillera le drapeauDes Parias !A mort ! au feu leurs palaisEt leurs temples ! Brûlons-les,Ces Aryas,Les rois, les chefs, les hérosLes prêtres, tous les bourreauxDes Parias !Écrasons sur les pavésLes richards et les gavés,Ces Aryas !Leurs femmes en falbalasServiront de matelasAux Parias.De leurs Dieux mis en morceaux,Qu’ils priaient comme des sots,Ces Aryas,Nous ferons à pleines mainsDes joujoux pour les gaminsDes Parias.Tue ! à mort ! à feu ! à sang !Où donc sont-ils à présentCes Aryas ?Eux, leurs arts et leur progrès,Qu’en restera-t-il aprèsLes Parias ?Plus de lois, de droits, plus rien !Plus de vrai, de beau, de bien,Ces Aryas !Par le fer et par le feuPlace au Néant, place au DieuDes Parias !
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Marches touraniennes, nº 12
Richepin, Jean
mardi 27 décembre 2022, par
Texte de Jean Richepin (1884). Partie de « La Chanson du sang » dans Les Blasphèmes.
Extrait de Les Blasphèmes (Paris, M. Dreyfous, 1884). P. 256-262
Paru aussi — sous le titre « La Chanson du sang » — dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 4, suppl. litt. au nº 1 (13 sept. 1890), avec ce commentaire sur les deux premiers vers de la dernière strophe : « Les anarchistes ne sont pas si loin, et croient au contraire que le beau et le bien doivent sortir de la suppression des lois ».