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Marches touraniennes, nº 12

Richepin, Jean

mardi 27 décembre 2022, par claude

Texte de Jean Richepin (1884). Partie de « La Chanson du sang » dans Les Blasphèmes.
Au jarret de nos chevaux
Ils ont su lancer leurs faulx
Ces Aryas !
Ils nous ont vaincus ainsi,
Les Lâches et nous voici
Des Parias.
 
Ils se disent purs et doux
Et sont, dévots, ces Hindoux,
Ces Aryas !
Mais ils mentent : les vainqueurs
N’ont jamais ouverts leurs cœurs
Aux Parias.
 
Ils ont bâti des cités
Pleines de félicités
Ces Aryas !
Mais ils les gardent pour eux
Laissant les marais fiévreux
Aux Parias.
 
Ils ont des greniers de riz,
Du bon vin, des pains fleuris,
Ces Aryas,
Et regardent, inhumains,
Crever le long des chemins
Les Parias.
 
Ils ont des lances, des dards
Des glaives, des étendards
Ces Aryas
Mais chez le tigre aux yeux verts
Ils envoient nus comme vers
Les Parias.
 
On dit qu’ils ont inventé
Droit, justice et charité
Ces Aryas !
Des mots, des mots, et des mots !
Cela guérit-il les maux
Des Parias ?
 
Tant qu’ils seront les plus forts,
Ils mettront tous leurs efforts,
Ces Aryas,
À saigner les malheureux,
Les pauvres qui sont pour eux
Des Parias.
 
Ils ont des prêtres voleurs
Et des rajahs querelleurs,
Ces Aryas !
Et combats, vols et cadeaux,
Tout se solde sur le dos
Des Parias.
 
Ils ont tout. Nous n’avons rien,
Ils proclament que c’est bien
Ces Aryas,
Et que Le bonheur, l’amour,
Le ciel, ne sont pas faits pour
Les Parias.
 
Le ciel, ça nous est égal.
Qu’ils en fassent leur régal
Ces Aryas !
Hais tous les biens d’ici-bas,
Pourquoi donc n’iraient-ils pas
Aux Parias ?
 
Patience ! il vient un temps
Qu’ils ne seront pas contents,
Ces Aryas,
Quand tous les pauvres meurtris
Se soulèveront aux cris
Des Parias.
 
Sont-ils donc plus fiers que nous ?
Je les ai vus à genoux
Ces Aryas !
Et leurs dieux, qui ne sont point
N’ont jamais vu que le poing
Des Parias.
 
Nous le montrerons aussi
À ces maitres sans merci,
Ces Aryas,
Quand le jour sera venu,
D’y brandir le sabre nu
Des Parias .
 
En attendant, fou d’orgueil,
Comme ils raillent notre deuil,
Ces Aryas,
Courbons-nous, petits, petits,
Mais gardons nos appétits
De Parias.
 
Dans l’ombre où nous travaillons,
S’ils comptaient nos bataillons,
Ces Aryas,
Plus nombreux que les fourmis
Ils verraient les insoumis,
Les Parias.
 
Mais ils n’ouvrent pas les yeux,
Se croient forts et sont joyeux,
Ces Aryas !
Voici l’heure, mon sang bout.
Alerte ! alerte ! Debout
Les Parias !
 
Ah ! vengeance, et sans remord !
Nous crierons : À mort, à mort
Ces Aryas
Tue ! à mort ! c’est dans leur peau
Qu’on taillera le drapeau
Des Parias !
 
A mort ! au feu leurs palais
Et leurs temples ! Brûlons-les,
Ces Aryas,
Les rois, les chefs, les héros
Les prêtres, tous les bourreaux
Des Parias !
 
Écrasons sur les pavés
Les richards et les gavés,
Ces Aryas !
Leurs femmes en falbalas
Serviront de matelas
Aux Parias.
 
De leurs Dieux mis en morceaux,
Qu’ils priaient comme des sots,
Ces Aryas,
Nous ferons à pleines mains
Des joujoux pour les gamins
Des Parias.
 
Tue ! à mort ! à feu ! à sang !
Où donc sont-ils à présent
Ces Aryas ?
Eux, leurs arts et leur progrès,
Qu’en restera-t-il après
Les Parias ?
 
Plus de lois, de droits, plus rien !
Plus de vrai, de beau, de bien,
Ces Aryas !
Par le fer et par le feu
Place au Néant, place au Dieu
Des Parias !

Extrait de Les Blasphèmes (Paris, M. Dreyfous, 1884). P. 256-262

Paru aussi — sous le titre « La Chanson du sang » — dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 4, suppl. litt. au nº 1 (13 sept. 1890), avec ce commentaire sur les deux premiers vers de la dernière strophe : « Les anarchistes ne sont pas si loin, et croient au contraire que le beau et le bien doivent sortir de la suppression des lois ».