I
Premier départ
Quand s’entr’ouvrent les yeux des marguerites blanches,Quand la feuille en tremblant palpite au bout des branches,Quand les lapins frileux commencent le matin,À sortir du terrier pour courir dans le thym,Quand les premiers oiseaux chantant leurs chansonnettes,Font dans le ciel plus pur vibrer leurs voix plus nettes,À l’époque où le monde heureux se rajeunit,Les petits mendiants doivent quitter leur nid.Ils sortent de la butte ou, comme des marmottes,Ils ont dormi l’hiver auprès d’un feu de mottes,Cependant que la mère attisait le brasierEt tressait en chantant des corbillons d’osier.C’est en vendant ces blancs hochets aux verts losangesQu’ils vont gagner leur pain, les pauvres petits anges.Le père .ist mort depuis quatre mois. La maisonEst trop chère à louer, et pour cette raisonLa mère chez autrui va devenir servante.Ou se retrouvera pour la saison suivante,Quand on aura gagné quelque argent cet été .En attendant, chacun s’en va de son côté.Les petits prennent leur baluchon sur l’épauleEt mettent leurs sabots au bout garni de tôleEt quand la mère, avec des sanglots dans la voixÀ baisé le dernier une dernière fois,Ils parient, se tenant par la main, d’un air grave.L’ainé siffle un refrain pour paraître plus brave ;Mais il sent de gros pleurs lui rouler dans les yeux.Il ne pleurera pas, car c’est lui le plus vieux,Car le long des chemins voici qu’ils sont en marcheEt l’enfant de douze ans devient un patriarche.II
Premier retour
Toujours tout droit sans rien regarder, ils cheminent.Les paysans hargneux, de loin les examinent,Et les enfants poltrons se mottent sur un rangPour les voir. Car ces gueux n’ont pas l’air rassurant.Et pourtant ils ne sont que trois, ces trouble-fête,Et le plus vieux des trois, celui qui marche en têteN’a pas treize ans. Mais comme ils sont fauves, hagards !Une implacable horreur habite leurs regards.On sent qu’ils ont souffert, jeûné, vieilli. Leurs membresDisent la faim, la soif, le froid noir des décembres,Le soleil lourd, l’averse à flots pointus crevant,L’étape interminable, et les nuits en plein vent.Ou comprend qu’ils ont bu la brume qui pénètre,Et râlé quelquefois au pied d’une fenêtreOù chantaient et flambaient des rires de catin.Il leur est arrivé de marcher du matinAu soir, et puis du soir au matin, sans entendreLe son que fait un sou clans la main qu’il faut tendre.Il leur est arrivé, le ventre creux, de voirDes gens repus qui leur refusaient du pain noir.Et c’est pourquoi leurs cœurs sont des fourneaux de haine,Mais, la maison où vit leur mère étant prochaine,Les voilà doux. Près d’elle ils seront apaisés,Et leur bouche d’enfant rapprendra les baisers.Hélas ! leur mère est morte à la tâche. Sa bièreGît sans nom dans un coin perdu du cimetière.Ils ne trouveront pas ce soir : leur retourPour consoler leur jeûne amer, le pain d’amour.Et demain il faudra repartir par les routes,Et mendier encore, et se nourrir des croûtes,Des restes, des vieux os que l’on dispute aux chiens.Mais les chers innocents du coup sont cles vauriens.Ils ne pleureront pas ; car l’orgueil les commandeEt l’enfant de douze ans devient un chef de bande.
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L’
Odyssée du vagabond : Premier départ ; Premier retour
Richepin, Jean
mardi 27 décembre 2022, par
Texte de Jean Richepin (1876).
Tiré de : Richepin, Jean. La Chanson des gueux. Paris : Libr. illustrée G. Decaux, 1876.
Paru aussi — pour « Le Premier retour » — dans : Le Révolté : organe communiste anarchiste. — 2e série. — Paris : 1885-1887. — Année 8, nº 49 (26 mars-1er avr. 1887)
Paru aussi in : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 4, suppl. litt. au nº 39 (6 juin 1891)