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Semailles

Théodore, Jean

vendredi 30 décembre 2022, par claude

Texte (triptyque de sonnets) de Théodore Jean (1893).
1
À travers l’Ignorance épaisse,
Donne ton âme à la Jeunesse,
Frêle, flottante, et fin roseau,
Pour que notre Idéal y naisse.
 
Comme la sève en l’arbrisseau
Devient la fleur sous la caresse
Ou soleil, de l’air et de l’eau,
Donne ton sang au Jouvenceau.
 
Un jour, les idées longtemps closes
Éclateront en rouges roses,
En moissons d’or pleines d’espoirs ;
 
Les grappes combleront les tonnes ;
Et sans crainte, au déclin des soirs,
Nous pourrons voir fuir les Automnes.
 
2
Mais l’Erreur aux pinacles trône,
Titrée, mitrée, galonnée d’or ;
Le Vol règne et le Coffre-fort ;
Et le Crime porte couronne.
 
Mais le Peuple, résigné, dort ;
Nulle colère ne bouillonne ;
Et l’héroïque et rare effort
En poussière au vent tourbillonne
 
Las ! ma pensée en est froidie,
Elle qui rêvait l’incendie
De toutes les forets du Mal.
 
Et j’ai peur que jamais n’advienne
La mer de feu diluvienne
D’où doit fleurir notre Idéal.
 
3
-- Malgré la torpeur des vivants,
Malgré les Judas triomphants,
Malgré les songes décevants,
Jetons le grain à tous les vents.
 
Malgré les Lois prostituées,
Malgré la hideur des huées,
Malgré les bêtes irruées.
Les terres seront charruées.
 
La Vendange éclora demain.
Et dans la pourpre et le carmin
Les Vendangeurs aux rouges mains
Pousseront les vieilles Ruines.
 
Et par les champs et les cités
Flamberont les Iniquités,
Les palais des férocités,
Les Bourreaux et les Guillotines.

1er mai 1893


Paru aussi in : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 6, suppl. litt. au nº 37 (27 mai 1893).

Paru aussi in : La Voix libertaire : organe des fédéralistes anarchistes (1928-1939). — Nº 220 (13 mai 1933).