1À travers l’Ignorance épaisse,Donne ton âme à la Jeunesse,Frêle, flottante, et fin roseau,Pour que notre Idéal y naisse.Comme la sève en l’arbrisseauDevient la fleur sous la caresseOu soleil, de l’air et de l’eau,Donne ton sang au Jouvenceau.Un jour, les idées longtemps closesÉclateront en rouges roses,En moissons d’or pleines d’espoirs ;Les grappes combleront les tonnes ;Et sans crainte, au déclin des soirs,Nous pourrons voir fuir les Automnes.2Mais l’Erreur aux pinacles trône,Titrée, mitrée, galonnée d’or ;Le Vol règne et le Coffre-fort ;Et le Crime porte couronne.Mais le Peuple, résigné, dort ;Nulle colère ne bouillonne ;Et l’héroïque et rare effortEn poussière au vent tourbillonneLas ! ma pensée en est froidie,Elle qui rêvait l’incendieDe toutes les forets du Mal.Et j’ai peur que jamais n’advienneLa mer de feu diluvienneD’où doit fleurir notre Idéal.3-- Malgré la torpeur des vivants,Malgré les Judas triomphants,Malgré les songes décevants,Jetons le grain à tous les vents.Malgré les Lois prostituées,Malgré la hideur des huées,Malgré les bêtes irruées.Les terres seront charruées.La Vendange éclora demain.Et dans la pourpre et le carminLes Vendangeurs aux rouges mainsPousseront les vieilles Ruines.Et par les champs et les citésFlamberont les Iniquités,Les palais des férocités,Les Bourreaux et les Guillotines.
1er mai 1893