À nos bons camarades du Groupe des poètes et chansonniers révolutionnaires
1Voici venir la saison folleEt de tous les cœurs en éveilUn hosanna joyeux s’envole,C’est le printemps, c’est le soleil !Comme les bourgeons sur les branchesLes seins pointent plus provocants,Et sous les chemises blanchesDe longs frissons passent, troublants…Et zon, zon, zon,Allez nos vers et nos chansons,Que votre joyeux babillageSe mèle sous le vert feuillageAu doux ramage des pinsons.Et zon, zon, zon,Allez rondeaux et villanellesAprès les couples enlacés,Chanter aux oreilles des bellesComme un orchestre de baisers.2Voici venir la saison blonde,Le soleil a mûri le grainEt, les moissonneurs à la rondeVont par les champs, la faux en main.Hardi, les gas ! que dans l’espaceElle brille comme un miroir,Toutes ces gerbes qu’on entasseC’est du bonheur et de l’espoir.Et zon, zon, zon,Allez nos vers et nos chansons,Que vos rimes avec ivresseVolent vers ceux qui sans faiblesseFauchent là-bas, dans les sillons.Et zon, zon, zon,Allez sonnets et cantilènesEt dans la splendeur de l’été,Faites-leur à travers les plainesComme un cortège de gaité.2Voici venir la saison rose,Que de rires sur les coteaux ;Les vendanges en sont la cause,Partout le pampre saigne à flots.Le vigneron, l’âme ravie,À son tour se sent plein d’espoir,C’est du soleil et de la vieQui fermentent dans le pressoir.Et zon, zon, zon,Allez nos vers et nos chansons,Que vos rimes sous chaque treilleChantent la boisson sans pareilleQue récoltent nos vignerons ;Et zon, zon, zon,Allez, ô modestes poèmesParmi le fracas des bouchons,Que ce soit un peu de nous-mêmesQu’ils boivent avec leurs flacons.4Voici venir la saison blanche,Bien que plus d’un grenier soit plein,Comme les oiseaux sur la brancheDe pauvres gens meurent de faim.Pourtant ce que la terre donneNe saurait être à quelques-unsLe pain blanc, le jus de la tonneSont des patrimoines communs.Et zon, zon, zon,Allez nos vers et nos chansonsQue vos rimes à perdre haleine,Clament partout la fin prochaineDes trafiqueurs et des larrons.Et zon, zon, zon,Les gueux veulent une part ampleDe tous les trésors entassés,Il reste encore dans le TempleDe nombreux vendeurs à chasser.
« Chanson des bardes », paroles de Maurice Doublier (1905), musique par Louis-Alexandre Droccos
Paru dans : La Chanson ouvrière : édition trimestrielle des œuvres des poètes et chansonniers du prolétariat (1905-1905), nº 1 (1905, mars).