1V’là qu’i’ fait jour, brave ouverier,Debout ! s’agit p’us d’roupiller.Allons, viv’ment ! faut s’éveillerGrouill’-toi ! grouill’-toi ! faut t’habiller,T’cirer, t’ brosser, t’débarbouillerEt t’ cavaler à l’atéier.2Viv’ment ! ça sonn’, brave ouverier,À la cloch’ de ton atéier.Allons, allons, prends l’tablier !Fous-toi su’ l’tas, sans sourciller,L’patron commence à gâfillerC’est q’ son temps, faut pas l’gaspiller.3Mais on déjeun’, brave ouverier ;Allons, viv’ment ! va croustiller.T’as une heur’ pour discutailler,Lir’ ton journal et t’fair’ payer,Au zanzib’, le coup d’l’étrierChez l’ bistro q’tu veux engayer.4Jett’ ton mégot, brave ouverier ;Allons, c’est assez vadrouiller,Viv’ment ! on rentre à l’atéier,Patin’ ! renfile l’tablier ;Au tas ! turbin’ sans sourciller,L’patron r’commence à gâfiller.5Il est quatre heur’, brave ouverier !T’as que’q’ minut’ pour t’envoyer,Viv’ment, un consolant d’mi-s’tier ;Mais ne r’tir’ pas ton tablier,L’ patron n’s’arrêt’ pas d’gâfiller :Dam’ ! ça tourn’, faut pas l’oublier.6l’ fait nuit, mon brave ouverier,Viv’ment ! r’grimpe à ton poulailler.Femm’, enfants, i’ faut s’déployerPour trouver d’quoi s’ravitailler,Sans ça les boyaux vont crier.Manq’ que l’pain. (Y a d’l’eau d’quoi t’néyer !)7C’est Saint’-Touche, ô brave ouverier.Viv’ment ! approche, on va t’payer.— Y a pas gras. — L’gringale, l’loyer,L’épicière… I’ s’tape l’fruitier !Et, pour aller chez l’cordonnier,Les pauv’ loupiots pourront s’ fouiller.8La misère, ô brave ouverier,On peut pas viv’ment l’enrayer ;La v’la qui règne à ton foyer,J’vous vois tous en train d’larmoyer.Couch’-toi ! — Pour te désennuyer,Si tu… tu peux…9Tout’ l’année, brave ouverier,Viv’ment tu pourras louvoyerD’ton plumard à ton atéier,D’ton étau jusqu’à ton grenier.On t’permet d viv’, mais faut payer :Bois, mang’, dors et va travailler.10C’est toi l’peup’, ô brave ouverier !D’temps en temps on t’fait votailler :T’es souv’rain ! Quand on veut t’railler,Viv’rnent tu r’tir’ ton tablier ;T’es souv’rain, mais tu veux crier,Alors i’ faut bien t mitrailler.11L’aîné d tes fils, brave ouverier,On va viv’ment te l’habiller,Te l’instruire et puis t’l’outillerPour en faire un brav’ fusilier :Qu’es’ q’ça fait ? Faut bien s’égayer !À la guerre on va l’envoyer.12T’as l’air souffrant, brave ouverier ?À l’hôpital on va t’soigner.Viv’ment ! i’ faut nous renseigner ;Si c’est drôle, on va t’travailler.Non. – Rien d’curieux à étudier.Tu n’es q’las ! On va t’renvoyer,13Crèv’ viv’ment, mon brave ouverier,Tes pauv’ bras peuvent p’us s’employer ;T’aurais beau prier, supplier,Oui qui pourrait s’apitoyer ?Puisque tu peux p’us travailler,L’four est chaud, autant t’crémailler… !
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Viv’ment ! Brave ouverier
Paillette, Paul
lundi 9 janvier 2023, par
Texte de Paul Paillette (≤1890).
http://anarlivres.free.fr/pages/biblio/complements_texte/ChansonsPaillette.html :
Tiré de Tablettes d’un lézard
- Gâfiller : surveiller, épier.
- Engayer : faire attendre, faire patienter.
- Demi-setier : quart de litre de vin.
- Sainte-Touche : sainte peu catholique, mais fort aimable et vénérée car c’est le jour où on touche le salaire ou les allocations.
Paru aussi in : L’Attaque : organe hebdomadaire anarchiste (1888-1890), nº 63 (29 mars-3 avr. 1890).
Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 9 (11-18 janvier 1896).
Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 110).