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Viv’ment ! Brave ouverier

Paillette, Paul

lundi 9 janvier 2023, par claude

Texte de Paul Paillette (≤1890).
1
V’là qu’i’ fait jour, brave ouverier,
Debout ! s’agit p’us d’roupiller.
Allons, viv’ment ! faut s’éveiller
Grouill’-toi ! grouill’-toi ! faut t’habiller,
T’cirer, t’ brosser, t’débarbouiller
Et t’ cavaler à l’atéier.
 
2
Viv’ment ! ça sonn’, brave ouverier,
À la cloch’ de ton atéier.
Allons, allons, prends l’tablier !
Fous-toi su’ l’tas, sans sourciller,
L’patron commence à gâfiller
C’est q’ son temps, faut pas l’gaspiller.
 
3
Mais on déjeun’, brave ouverier ;
Allons, viv’ment ! va croustiller.
T’as une heur’ pour discutailler,
Lir’ ton journal et t’fair’ payer,
Au zanzib’, le coup d’l’étrier
Chez l’ bistro q’tu veux engayer.
 
4
Jett’ ton mégot, brave ouverier ;
Allons, c’est assez vadrouiller,
Viv’ment ! on rentre à l’atéier,
Patin’ ! renfile l’tablier ;
Au tas ! turbin’ sans sourciller,
L’patron r’commence à gâfiller.
 
5
Il est quatre heur’, brave ouverier !
T’as que’q’ minut’ pour t’envoyer,
Viv’ment, un consolant d’mi-s’tier ;
Mais ne r’tir’ pas ton tablier,
L’ patron n’s’arrêt’ pas d’gâfiller :
Dam’ ! ça tourn’, faut pas l’oublier.
 
6
l’ fait nuit, mon brave ouverier,
Viv’ment ! r’grimpe à ton poulailler.
Femm’, enfants, i’ faut s’déployer
Pour trouver d’quoi s’ravitailler,
Sans ça les boyaux vont crier.
Manq’ que l’pain. (Y a d’l’eau d’quoi t’néyer !)
 
7
C’est Saint’-Touche, ô brave ouverier.
Viv’ment ! approche, on va t’payer.
— Y a pas gras. — L’gringale, l’loyer,
L’épicière… I’ s’tape l’fruitier !
Et, pour aller chez l’cordonnier,
Les pauv’ loupiots pourront s’ fouiller.
 
8
La misère, ô brave ouverier,
On peut pas viv’ment l’enrayer ;
La v’la qui règne à ton foyer,
J’vous vois tous en train d’larmoyer.
Couch’-toi ! — Pour te désennuyer,
Si tu… tu peux…
 
9
Tout’ l’année, brave ouverier,
Viv’ment tu pourras louvoyer
D’ton plumard à ton atéier,
D’ton étau jusqu’à ton grenier.
On t’permet d viv’, mais faut payer :
Bois, mang’, dors et va travailler.
 
10
C’est toi l’peup’, ô brave ouverier !
D’temps en temps on t’fait votailler :
T’es souv’rain ! Quand on veut t’railler,
Viv’rnent tu r’tir’ ton tablier ;
T’es souv’rain, mais tu veux crier,
Alors i’ faut bien t mitrailler.
 
11
L’aîné d tes fils, brave ouverier,
On va viv’ment te l’habiller,
Te l’instruire et puis t’l’outiller
Pour en faire un brav’ fusilier :
Qu’es’ q’ça fait ? Faut bien s’égayer !
À la guerre on va l’envoyer.
 
12
T’as l’air souffrant, brave ouverier ?
À l’hôpital on va t’soigner.
Viv’ment ! i’ faut nous renseigner ;
Si c’est drôle, on va t’travailler.
Non. – Rien d’curieux à étudier.
Tu n’es q’las ! On va t’renvoyer,
 
13
Crèv’ viv’ment, mon brave ouverier,
Tes pauv’ bras peuvent p’us s’employer ;
T’aurais beau prier, supplier,
Oui qui pourrait s’apitoyer ?
Puisque tu peux p’us travailler,
L’four est chaud, autant t’crémailler… !

http://anarlivres.free.fr/pages/biblio/complements_texte/ChansonsPaillette.html :
Tiré de Tablettes d’un lézard

  • Gâfiller : surveiller, épier.
  • Engayer : faire attendre, faire patienter.
  • Demi-setier : quart de litre de vin.
  • Sainte-Touche : sainte peu catholique, mais fort aimable et vénérée car c’est le jour où on touche le salaire ou les allocations.

Paru aussi in : L’Attaque : organe hebdomadaire anarchiste (1888-1890), nº 63 (29 mars-3 avr. 1890).

Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 9 (11-18 janvier 1896).

Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 110).