De l’heure où je montrai mon néEntre les cuisses de ma mère,Date mon état de misère,Quoiqu’on m’appelât Fortuné.L’accoucheur, homme convaincu,Aussitôt sorti, me tripote ;Il me lessive, me ligoteEt m’enfonce une épingle au cu.En me disant : « Tète, mon chou »,Une femme met dans ma bouche,Pour conduire un breuvage louche,Un bout de puant caoutchouc.Lardon ficelé, près d’un anJe me confis dans mes urines ;Si je gueule : Ah ! tu nous bassines ;Puis on ajoute : Est-il méchant !Un peu plus grand, par vanité,On me pare, ou mieux, me déguise.Comment gambader à ma guisePour un rien je suis fouetté.Puis à l’école on me conduitAvec mainte et mainte fessée ;Je dois asservir ma penséePour devenir un homme instruit.Obéir, obéir toujours,O Nature ! quelle hérésie !Ne rien faire à ma fantaisie,Agir et parler au rebours.Enfin ! je crois ce que l’on dit,De mes fautes je me confesse,Je vais m’affadir à la messe,Je coupe dans le Saint-Esprit.Mais tout cela n’est rien encor,J’ai douze ans ; on me dit : c’est l’âgeDe te mettre en apprentissage.Nous allons changer de décorAu travail douze heures durantJe peine à la même besogne ;Si je rechigne, alors on cogne,Le maître n’est pas endurant.Je vis avec des abrutis,Je subis des choses atroces ;(Les lâches sont toujours féroces !Ça des hommes ! non, des outils.)Dans ce bagne je fais cinq ans ;Entre-temps ma famille est morte ;Le patron me flanque à la porte,Le travail est aux plus rampants.Ainsi, bien misérablement,Traînant une existence terne,J’arrive à l’âge où la caserneNous fournit pain et vêtement.Me voilà fier d’être Frrançais.Je suis un être automatiqueAux ordres de la Raipublique ;Pour mon ventre, c’est un succès.Il me faut haïr le Prussien ;Ma Patrie, ah ! mais c’est la FrranceJe suis armé pour sa défense :Je défends tout, moi qui n’ai rien.J’obéis mécaniquementAinsi qu’à l’école, à l’usine ;Je suis un semblant de machine,Je fonctionne inconsciemment.En vil esclave, mon cerveauNe sert plus que ma chair vendue ;Ma pauvre âme en est abattue,Tout mon être : on dirait du veau.
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Civilisation : école, usine, caserne
Paillette, Paul
lundi 9 janvier 2023, par
Texte de Paul Paillette (≤1896), différent du texte « Civilisation » (1916).
Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 55 (27 novembre-2 décembre 1896).