Rondeau
1Pour punir un crimeLe journal imprimeQu’au matin, sans frimeOn va décoller.Ému par la presseTout Paris se presseAu lieu d’allégressePour bien rigoler.Étrange assistance,Bourgeois d’importance,Gibier de potenceHurlant des gros mots,Reines du bitume— La crème et l’écume ! —Lançant dans la brumeDes cris d’animaux.2Fêtards en vadrouille,La Haute Fripouille,Tout ce monde grouilleEn fraternisant,Pour saisir, quand même,Ô plaisir extrême !Le hoquet suprêmeD’un agonisant.Soudain, tout bruit sombre,De la prison sombreApparaît dans l’ombre,Cadavre déjà,Un homme livideQue la foule avideVerra, le cœur vide,Mourir en goujat.3Il courbe l’échineSans voir la machine,Un prêtre s’échineDebout devant lui,Mais l’effroi le glace,Le curé s’efface,Là-bas, sur la place,Un éclair a lui.Telle une faucilleAu grand soleil brille,Le couteau scintilleSous l’aube qui point.Quelques fanatiques,Garçons de boutiques,Catins authentiques,Menaçant du poing.4La Veuve géanteSe dresse béante,Vers la chair vivanteIl passe un frisson,On brave l’entorsePour mieux voir ce torseDe bétail sans forceSaigner dans le son.Hagard, il recule,Mais, sur la bascule,Un carcan de boispar le cou l’entrave,Le patient bave,Alors devient graveLa meute aux abois.5Le couperet glisse,Un jet rouge pisseQuand la lame lisseTranche le gosier.L’infernale gouleRejette une boule…Et la tête rouleAu panier d’osier.On admire, on blâme,On siffle, on acclameL’être aux yeux sans flammeQui, bourreaux hideux,Au nom d’une Bible,D’un Code infaillible,Le cœur insensible,Coupe un homme en deux.6Puis, dans la voitureDe la Préfecture,File à tout allure,Le corps supplicié ;La main sur la nuque,Un vieillard eunuqueSent sous sa perruqueLe froid de l’acier.Un autre à bésicleFignole un articleOù, chaud, le sang giclePour le peuple absent.Il dira, prophète.Pour clore la fête,Que “justice est faite…”… Faite dans le sang !
chanson « La Guillotine » de Léon Israël, musique par Louis-Alexandre Droccos