Un bloc de bronze où son nom luit sur une plaque.Ventre riche, mâchoire ardente et menton gourd ;Haine et terreur murant son gros front lourdEt poing taillé à fendre en deux toutes attaques.Le carrefour, solennisé de palais froids,D’où ses regards têtus et violents encoreScrutent quels feux d’éveil bougent dans telle aurore,Comme sa volonté, se carre en angles droits.Il fut celui de l’heure et des hasards bizarres,Mais textuel, sitôt qu’il tint la force en mainEt qu’il put étouffer dans hier le lendemainDéjà sonore et plein de cassantes fanfares.Sa colère fit loi durant ces jours bâtés,Où toutes voix montaient vers ses panégyriques,Où son rêve d’état strict et géométriqueTranquillisait l’aboi plaintif des lâchetés.Il se sentait la force étroite et qui déprime,Tantôt sournois, tantôt cruel et contempteur,Et quand il se dressait de toute sa hauteurIl n’arrivait jamais qu’à la hauteur d’un crime.Massif devant la vie, il l’obstrua, depuisQu’il s’imposa sauveur des rois et de lui-mêmeEt qu’il utilisa la peur et l’affre blêmeEn des complots fictifs qu’il étranglait, la nuit.Si bien qu’il apparaît sur la place publiqueFéroce et rancunier, autoritaire et fort,Et défendant encor, d’un geste hyperbolique,Son piédestal bâti comme son coffre-fort.
Une
Statue
Verhaeren, Émile
mardi 17 janvier 2023, par
Texte d’Émile Verhaeren (1895).
Paru dans : Verhaeren, Émile. — Les Villes tentaculaires. — Bruxelles : E. Deman, 1895.
Paru aussi — sous le titre « Une Statue de bourgeois » — dans : L’Anarchie (1905-1914), nº 351 (28 décembre 1911)