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En chasse ! En chasse !

Breton, Pierre

dimanche 5 février 2023, par claude

Texte de Pierre Breton (≤1913).
Taïaut ! Taïaut ! c’est l’ouverture.
Ah, c’que c’mot-là fait des heureux
Parmi les rupins qu’la nature
A doté d’un million ou deux !!!
 
C’est guêtré jusqu’à la boudine.
Ça porte un fusil d’quinz’ cents francs.
D’vant eux les traqueurs courbent l’échine.
Les v’Ià les p’tits rois du moment !!!
 
Eux qui, lors des Assis’s dernière.
Au nom de tout c’ qu’y a d’plus sacré.
On condamné une fill’ mère
Pour avoir tué son nouveau-né,
 
Pauvre fillett’ que la misère
Guettait au tournant du chemin
Et qu’a mieux fait d’aller en terre
Que d’dev’nir, d’la viande à rupin.
 
Les v’Ià partis la joie eu tête.
Grisés par le sang qui coul’ra
Lorsque l’plomb meurtrier et bête
Flanqu’ra quelque gibier en bas !!!
 
Pan pan ! c’est un lièvre qui boule,
C’est un perdreau qui tombe et meurt.
Kt, pendant qu’ l’agoni’ s’ déroule,
On applaudit l’adroit chasseur.
 
Une chevrette qui rend l’âme.
Pleure doucement son petit.
On dirait des larmes de femme,
Tant elles sont douces. Mais l’on rit.
 
On rit de la belle capture.
On se pâme à ce coup affreux.
« Ah ! la garc’ c’qu’elle a la vie dure ! »
S’écrient eu riant ces messieurs.
 
Pendant sept mois, il courent, il errent
Sous les bois, dans l’herbe des champs.
Il peuvent s’aimer dans la bruyère.
Les gard’s pour eux, sont vigilants.
 
Tandis qu’dans la vie où nous sommes,
Pour nous autr’s pauvres margoulins.
Elle est ouvert’, la chasse à l’homme,
De Janvier à la Saint-Glinglin.
 
… … … 
 
Ah ! le pauvr’ gibier que l’on chasse
Sans trêv’, sans cesse et sans repos.
Chair à patron ! Sale plocace
Devenu’ viande à proprios !!!
 
Allez, éreintez-vous sans trêve,
Gagnez péniblement quatr’ sous
Le Pognon que gagn’ Jean la Grève
Il est fait pour d’autr’s que pour vous.
 
C’est l’percepteur qui vous l’rabotte
Pour payer tous les dirigeants.
Faut qu’ils aient du foin dans leurs bottes
Tous les ceuss’ du Gouvernement !
 
… … …
 
Taïaut ! Taïaut ! c’est pas des biches,
C’est les fils du peupl’ qu’on rabat
Pour défendr’ le pognon des riches !!!
Jean la Grèv’, faut qu’tu sois soldat,
 
Ou s’en fout qu’la mère ait des larmes
Au fond de ses grands yeux rougis.
La douleur, les Craintes, les alarmes,
C’est faits pour les mèr’s de marquis !
 
… … … 
 
Taïaut, Taïaut, v’Ià qu’dans la tôle,
Où quatr’ petits môm’s crèvent d’faim.
On vient traquer le père, un drôIe,
Qu’à osé barboter du pain !
 
Puis, quéqu’s jours plus tard, la misère
Étant plus grand’ faute d’un gagn’ pain.
Voilà que le propriétaire
Fait saisir tout le berloquin.
 
Alors, cett’ fois, plus rien à faire,
Tout est désormais bien fini.
Vas ! résigne-toi, prolétaire !
Voici qu’on sonne l’hallali !!!
 
… … …
 
Allons, les rupins, vite en chasse.
Les perdreaux n’doiv’nt plus vous tenter,
Puisqu’à la chasse à la plocace
Y suffit d’un permis et d’citer !!!

Paru aussi in : La Cravache. — Reims : 1912-1913. — Nº 34 (20 septembre 1913).

Paru aussi in : Le Combat (1912-1914), année 2, nº 39 (27 septembre 1913).