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Aux maîtres

Théodore, Jean

jeudi 9 février 2023, par claude

Texte (triptyque de sonnets) de Théodore Jean (≤1895).
1. Esclavage
Vous avez labouré dans l’horrible et le crime.
L’homme fut votre champ, des couteaux, vos charrues.
Vos bourses comme vos panses ne sont ventrues
Que du vol des oiseaux et du sang des victimes.
 
La Force, ivre, barbare, aveugle en la victoire,
De son glaive a forgé la Loi, dicté le droit.
La Justice a parlé par sa bouche et la Gloire…
À es rois, à ces dieux l’homme obéit et croit.
 
Œuvres de mort, œuvres d’erreur, œuvres de haine,
Vous pesez en baillons sur toute vue humaine,
Vous étouffez l’enfant avant qu’il ait vécu.
 
Vous régnez au milieu des douleurs et des ruines.
Toute fleur est flétrie à votre ombre assassine.
Mais l’idéal en nous rêvé reste invaincu.
 
2. Révolution
Les grappes sont enfin mûres, les corps pourris,
Vendangeurs et corbeaux, activez la besogne.
La cuve attend son vin, l’abîme sa charogne.
De la cendre des morts les vivants sont nourris.
 
Monde ignoble, tu meurs. Il est temps que tu crèves.
Le fossoyeur est prêt et creusé ton tombeau
Où tu disparaîtras, toi qui souillas le Beau,
Toi qui crachas sur les étoiles de nos rêves
 
Ton corps sera la proie des vers et de l’oubli.
Tout ton œuvre s’engloutira dans les néants.
Mais l’idéal conçu par nos cœurs mécréants,
 
Mais l’astre de nos fois, par ta bave ennobli,
Loin de ta force, hors de ton joug odieux,
Monte, soleil nouveau, qu’attirent d’autres cieux.
 
3. Avenir
Justice est faite. Les vieux mondes vermoulues
Ont croulé sous le choc des neuves énergies.
Les temples, les prisons et les palais d’orgies
Avec leur honte et leur pouvoir sont dissolus.
 
Des aubes ont chassé les âges révolus.
De vitales rumeurs en l’ait par sont vagies.
L’humanité de ses poitrines élargies
Chante l’espoir certain des paradis de pureté.
 
Nul n’est esclave. Nul n’est maître. La Nature,
Maternelle, domptée, à tous s’offre en pâture.
Tous les cœurs sont des lys emplis de pureté
 
Vers le Bien, vers le Vrai, les cerveaux en gésine
S’efforcent. La Terre est l’harmonieuse usine,
Où vivent le Travail, l’Amour et la Beauté.

Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 1 (16-22 novembre 1895).