Deux voix, deux grandes voix qui rompent mes oreilles,Deux voix d’épouvante qui sont,Par leur clameur sinistre et leur fracas pareilles,M’ont glacé l’âme d’un frisson.L’une a jeté sa plainte et l’autre qui s’y mêle,Monte aux cieux dans un même élan,Et l’on dirait le cri sanglant d’une femelleQui sent tout craquer dans son flanc.C’est la voix de la mer, cette grande sauvage,Qui traîne en grondant des boulets,Et crache à tous les vents, sur les rocs du rivage,La mitraille de ses galets ;Et c’est la voix du Peuple, au loin qui se lamente,C’est la voix des rauques sanglotsQui plane et qui grandit, dans la nuit où fermenteLe sang que l’homme verse à flots.Oh ! c’est l’océan morne et que rien ne décore,Ni l’azur, ni l’or des couchants,Et dont le triste cours ne connaît pas encoreLa beauté des jours et des chants,C’est comme le désert, la plaine monotoneOù passe un brûlant sirocco ;Mais, sous un ciel de plomb, la voix du peuple tonneSa grande douleur sans écho.Le flot coule, lent, lourd, dans un roulis d’échine,Flot de honte, flot de torpeurD’où monte un bruit confus, un hoquet de machine,Et des hurlements de vapeur.Oh ! Le Peuple, c’est là, dans ce cloaque immonde,parmi ces eaux grasses d’égouts,Que viennent s’engouffrer les misères du monde,les désespoirs et les dégoûts…Mais non !… Voici venir les souffleurs de tempêtes,Les impétueux aquilonsQui vont enfin mêler l’appel clair des trompettesAu rythme des marteaux-pilons !J’entends gronder l’orage ardent qui purifie,Et dans l’horizon trop étroit,je vois briller l’éclair de la philosophie ;Oh ! voici la foudre : le Droit … !Allons ! voici venir tous ceux que rien n’effareNi la nuit, ni l’air empesté,Ceux qui vont allumer sur les peuples le phare,Le soleil de la Liberté !…
Le
Peuple
Javogues, Georges
samedi 11 février 2023, par
Texte de Georges Javogues (1896).
Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 15 (22-29 février 1896).