Accueil > Chansons > Peuple

Le

Peuple

Javogues, Georges

samedi 11 février 2023, par claude

Texte de Georges Javogues (1896).
Deux voix, deux grandes voix qui rompent mes oreilles,
Deux voix d’épouvante qui sont,
Par leur clameur sinistre et leur fracas pareilles,
M’ont glacé l’âme d’un frisson.
 
L’une a jeté sa plainte et l’autre qui s’y mêle,
Monte aux cieux dans un même élan,
Et l’on dirait le cri sanglant d’une femelle
Qui sent tout craquer dans son flanc.
 
C’est la voix de la mer, cette grande sauvage,
Qui traîne en grondant des boulets,
Et crache à tous les vents, sur les rocs du rivage,
La mitraille de ses galets ;
 
Et c’est la voix du Peuple, au loin qui se lamente,
C’est la voix des rauques sanglots
Qui plane et qui grandit, dans la nuit où fermente
Le sang que l’homme verse à flots.
 
Oh ! c’est l’océan morne et que rien ne décore,
Ni l’azur, ni l’or des couchants,
Et dont le triste cours ne connaît pas encore
La beauté des jours et des chants,
 
C’est comme le désert, la plaine monotone
Où passe un brûlant sirocco ;
Mais, sous un ciel de plomb, la voix du peuple tonne
Sa grande douleur sans écho.
 
Le flot coule, lent, lourd, dans un roulis d’échine,
Flot de honte, flot de torpeur
D’où monte un bruit confus, un hoquet de machine,
Et des hurlements de vapeur.
 
Oh ! Le Peuple, c’est là, dans ce cloaque immonde,
parmi ces eaux grasses d’égouts,
Que viennent s’engouffrer les misères du monde,
les désespoirs et les dégoûts…
 
Mais non !… Voici venir les souffleurs de tempêtes,
Les impétueux aquilons
Qui vont enfin mêler l’appel clair des trompettes
Au rythme des marteaux-pilons !
 
J’entends gronder l’orage ardent qui purifie,
Et dans l’horizon trop étroit,
je vois briller l’éclair de la philosophie ;
Oh ! voici la foudre : le Droit … !
 
Allons ! voici venir tous ceux que rien n’effare
Ni la nuit, ni l’air empesté,
Ceux qui vont allumer sur les peuples le phare,
Le soleil de la Liberté !…

Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 15 (22-29 février 1896).