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Ma paresse

Paillette, Paul

samedi 11 février 2023, par claude

Texte de Paul Paillette (≤1896).
Quand j’sens qué’qu’chose d’utile à dire
Pour démolir un préjugé,
j’trouv’ que c’est un bonehur d’écrire,
J’en oublierais l’boire et l’manger ;
mais nom de Dieu ! Si m’fallait pondre
Des romans si longs que le bout
S’en perd dans les brouillards de Londres,
j’aim’rais mieux n’pas en foutre un coup.
 
J’aim’ bien boulotter, j’vous l’assure,
Un tas d’modèl’ avec du pain :
Du ragout, des œufs, d’la friture,
À ma fantaisie, à ma faim ;
Mais, si l’on d’vait m’emplir la panse
Comme aux volaill’ qu’allong’ le cou
Sous la gaveuse Tortur-Pitance,
j’aim’rais mieux n’pas en foutre un coup.
 
Et j’suis kikif pour la vinasse ;
En mangeant c’est bon l’jus d(chas’las :
L’rouge à lui l’honneur, la grand’place ;
L’blanc commence et finit le r’pas ;
Au dessert j’aim’ celui qui pête ;
Mais plutôt que d’boir’ comme un trou
l’poison q’chez l’bistrot on achète,
j’aim’rais mieux n’pas en foutre un coup.
 
Quand un doux penseur, plein de flamme,
Nous verse de l’esprit nouveau,
Je sens s’réveiller ma pauvre âme,
Et, pour tout boir’, j’ouvr’ mon cerveau ;
Mais quand on déclame des bourdes :
« Hoche, Kléber, Marceau !… » c’est tout,
J’ai tout d’suit’ bouclé mes esgourdes ;
j’aim’rais mieux n’pas en foutre un coup.
 
J’aime les baisers, les caresses,
L’amour, vraiment, c’est mon régal ;
L’aime l’hôtel où les hôtesses
Logent à pied comme à cheval ;
Mais, si dix femelles en chasse,
Chaque jour, voulaient à leur goût,
Me faire crever sur la place,
j’aim’rais mieux n’pas en foutre un coup.
 
C’est pour arriver à conclure
Q’turbiner, aussi, ça m’plairait :
Dépenser ses forc’, sa nature,
C’est d’l’hygiène et d’un grand attrait ;
Mais, si l’on m’oblige à la peine
Tout le jour et contre mon goût,
C’est fini ! j’gueul’ comme une baleine !
j’aim’rais mieux n’pas en foutre un coup.

Hoche, Kléber, Marceau : généraux de la Révolution française.


Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 20 (29 mars-4 avril 1896).