Accueil > Chansons > On ne vit qu’en autrui

On ne vit qu’en autrui

Paillette, Paul

mardi 14 février 2023, par claude

Texte de Paul Paillette (≤1896).
soyez d esprit sec ou sensible.
Fermé de cœur ou généreux,
Il n’est pas de bonheur possible
En un monde de malheureux.
 
Oui certes il nous faut songer â notre ventre ;
L’homme le plus humain doit d’abord le nourrir.
Je suis un dévorant bien avant d’être un chantre,
Mais vivre sans aimer ah ! j’aime autant mourir.
Il faut nourrir le cœur. Que notre être, lui-même.
Nous donne isolément quelques impressions,
On ne vit qu’en Autrui ; quand ardemment on l’aime
On éprouve les plus hautes sensations.
Autrui, toujours Autrui, par Lui la vie est bonne !
Soulagez, consolez, embrassez, enlacez !
De toutes les façons, que votre cœur se donne !
Aimez toujours ; jamais vous n’aimerez assez.
Cela se peut nommer, si l’on veut, égoïsme :
Cette objectivité fait mon propre bonheur ;
Pour jouir en Autrui pas besoin d’altruisme :
C’est pour moi que de Lui j’éloigne la douleur.
 
Soyez d’esprit sec ou sensible,
Fermé de cœur ou généreux.
Il n’est pas de bonheur possible
En un monde de malheureux.
 
Faudrait-il vivre ainsi qu’un fauve dans son antre
Quand le cœur nous incite a nous tendre la main ?
N’est-il pas résolu ce problème du ventre ?
L’Esprit féroce a-t-il l’excuse de la faim ?
Non. non, mille fois non ! Pour tous la table est prête.
Quand l’homme fut créé son couvert était mis ;
Ne le serait-il pas il faudrait qu’on l’apprête :
Avant ce doux effort nul travail n’est permis.
Votre Art ne me dit rien, votre Luxe m’offense
Quand en moi je promène un cœur non satisfait.
Et qu’un seul souffre encore c’est à lui que je pense
Si pour le soulager, lâche, je n’ai tout fait.
Cela toujours pour moi car mon trouble me pèse
Désirant un bonheur large, de tout repos,
Pour vivre librement, pour jouir à mon aise
Il me faut Autrui sain, satisfait et dispos.
 
Soyez d’esprit sec ou sensible,
Fermé de cœur ou généreux,
Il n’est pas de bonheur possible
En un monde de malheureux.
 
Le moteur est toujours l’individualisme :
Je veux le bien d’Autrui pour mon individu.
Est-ce de l’égoïsme ? Est-ce l’altruisme ?
Voulez-vous : Hygiène ? Il demeure entendu
Que je ne cherche ainsi qu’à plus largement vivre.
C’est mon devoir d’abord ensuite c’est mon droit.
Je combats c’est pour moi, pour moi j’écris ce livre
Car je souffre du cœur en votre monde étroit.
Pour ressentir cela faut-il donc être un ange ?
Je souris quand j’entends : « Il se perd dans le ciel. »
Puisque pour être heureux j’ai besoin que tout change
Mon cerveau fait. ici. travail matériel.
Rêvez-vous le bonheur dans un monde à gendarmes ?
Vous faut-il des honneurs, de l’or, des diamants ?
Richesse, Autorité, sont des sources de larmes
Et comptez que d’Autrui vous souffrez les tourments.
 
Soyez d’esprit sec ou sensible,
Fermé de cœur ou généreux,
Il n’est pas de bonheur possible
En un monde de malheureux.

Tiré dans Tablettes d’un lézard.


Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 30 (6-12 juin 1896).

Publié aussi dans le recueil nº 10 (1924) de Nos chansons (1920-1930) de La Muse rouge.