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Visite de charité

Sécot, Victor

mardi 14 février 2023, par claude

Texte de Victor Sécot (1896).
Quand l’président a bien dormi
Il dit : « N’soyons pas bon à d’mi,
Sacrifions not’ promenades :
Partons sans trompette’ ni tambour.
Allons dans l’fond d’un vieux faubourg,
Visiter des malades ! »
 
Dès qu’il arrive à l’hôpital.
Lesté de son p’tit capital,
Et flanqué des internes,
Il voit tout avec compassion,
Goût’ les lavements et les potions,
Et sort d’un’ p’tit’ giberne
 
Trois beaux billets d’cent francs tout neufs.
Disant : « Au lieu de soupe et d’bœuf,
« Cuisin’ de militaire,
« Voici d’quoi faire un p’tit rata
« Qu’vous donn’rez aux malad’s pour a-
« Méliorer l’ordinaire !
 
Puis tout d’suite il part enchanté,
Non sans s’être désinfecté
Avec l’acid’ borique,
Pendant qu’les malades, mis en goût
Par l’espoir d’un fameux ragoût
Crient : Viv’ la République ! »
 
Aussitôt Monsieur l’Directeur
Réunit chez lui ses docteurs
Et leur dit : « Bonne affaire !
« Vous recevez du chef de l’État
« Deux cents francs qui permettront d’a-
« Méliorer l’ordinaire 1 !… »
 
Alors les médecins triomphants
Dis’tit à leurs internes : « Mes enfants
« L’Président tutélaire
« Dans sa bonté vous octroya
« C’matin cent cinquante francs pour « a-
« Méliorer l’ordinaire ! »
 
Chaque intern’ de son pied léger
S’en va trouver chaque infirmier
Ainsi qu’chaque infirmière,
Et leur dit : « Le Président a
« Laissé quatre vingt francs pour a-
« Méliorer l’ordinaire !… »
 
Le soir au moment d’partager,
Il n’restait plus à distribuer
Qu’trois francs d’pièc’ Italiennes :
En revanche, on était débiteur
D’un grand bouquet aux trois couleurs
Offert par une gardienne !
 
Si bien qu’au lieu de rien toucher
On fut forcé de réclamer
Cinq sous par poitrinaire,
Et qu’alors chaqu’ malad’ cria :
« Mon Dieu ! Fait’ qu’il ne viens’ plus a-
« Méliorer l’ordinaire ! »

Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 32 (20-26 juin 1896).